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Notre prénom est le son qui semble nous affecter plus que tout autre. Notre cerveau s’allume. Nous nous redressons, nous tendons l’oreille, tout en nous demandant ce qui nous attend : du merveilleux ou du méchant? Le prénom qu’on nous donne à porter tout au long de notre vie n’est pas à prendre à la légère. C’est également un générateur de récits personnels. Voici le mien.

Norfolk Broads 1967

Témoignage

De nos jours, on m’appelle souvent Gerry, ce qui est le diminutif de Gerald. En grandissant, je n’ai pas de souvenir d’avoir rencontré un autre Gerald, même si, pour une raison que j’ignore, il y a eu pas mal de Gerard.

A peu près à l’age de la prise de la photo, j’ai appris par hasard au cours de bavardages en famille que mon père avait eu un frère ainé au nom de Gerald. Je portais le même prénom en hommage à lui.

Moi : Ah bon? Je ne le savais pas. Je peux le rencontrer? Ou lui écrire?

Dad : Non, il est mort à peu près à ton age dans une épidémie. C’était très triste.

Mum : Mais ça, tu le savais.

Me : Ben, non. Je viens de l’apprendre.

C’était ainsi que nos parents nous transmettaient souvent des éléments au sujet de notre fresque familiale lorsque nous étions enfants. Avec l’âge, ils ont changé de méthode, prenant plus de temps pour dire des choses mais, à l’époque, il fallait rester en alerte pour ne pas louper une information essentielle.

La réalisation que je portais le même nom que quelqu’un qui était tristement décédé lors d’une épidémie – de plus, à l’âge que j’avais à ce moment-là – m’a secoué un peu. J’avais déjà une imagination débordante, mais cette nouveauté a engendré quelque chose de différent, quelque chose qui allait me troublait durant des années. Parfois cela prenait la forme d’une ombre plutôt imposante qui menaçait de m’engouffrer. A d’autres moments, cela pouvait ressembler à un tout petit objet sur lequel je trébuchais lorsque je marchais sur la pointe des pieds au cours d’un rêve.

Je ne savais vraiment pas où ranger cet apprentissage encombrant jusqu’à beaucoup plus tard dans ma vie, après de nombreuses années de vie et de travail en France. C’était dans une période où je me suis retrouvé loin de mes origines et un peu à la dérive. Quel élément de l’assemblage culturel qui me constituait me définissait le mieux? Est-ce j’étais l’Anglais de la langue maternelle? Le Britannique du passeport? Le Français que j’étais devenu sans m’en rendre compte? Ou est-ce que j’étais simplement un Irlandais qui s’était perdu en chemin? J’ai écrit Nameshake1 au moment de cette interrogation identitaire. C’est sorti quasiment d’un trait avec, comme titre, un mot sorti du shaker poétique en anglais que je n’avais ni vu ni entendu auparavant . D’un coup, tout s’est posé. Et j’ai pu tourner la page.

Je ne suis pas le premier à porter mon nom et mon prénom.
L’apprendre a mis à jour le tour de passe-passe de mon baptême,
Atténuant l’éclat des cierges allumés ce jour-là pour n’en laisser que la cire,
La flamme d’identité consommée, d’un coup, jusqu’à la mèche.

Tout ça, parce que le frère chéri de mon père avait laissé ses chaussures,
Encore tièdes, pour que j’y glisse mes pieds d’enfant, emboîtant son pas,
Reliant ainsi nos vies pour de bon, d’un commun accord qui précisait
Que, quel que soit l’appel du vent, je serai le seul à être visible.

Dorénavant je peux sourire à l’idée d’un seul chant pour deux vies distinctes,
La mienne initiée du côté du Mersey, la sienne dans le Dublin de jadis,
Puisque le shaker d’homonymes a fait de lui mon devancier, malgré lui,
Et de moi un Irlandais rené, son suivant, non pas le simple porteur d’un nom perdu.

Le Shakeur D’Homonymes

Commentaires

J’ai découvert le fond de l’histoire de mon oncle Gerald bien après l’écriture de Nameshake. La source était une lettre de la part de Nora, la sœur ainée de mon père. Elle se souvenait bien des événements qui m’intéressaient, et elle m’a expliqué que Gerald avait contracté un rhumatisme articulaire aigu à l’âge de 6 ans, ce qui lui avait crée des problèmes cardiaques chroniques. Son décès à seulement 11 ans venait à la suite d’années de souffrances en raison des symptômes cardiaques qu’il traînait depuis l’infection initiale. Elle a rajouté qu’il avait 10 ans de plus que mon père et avait une relation très proche avec lui – l’incitant à prendre ses premiers pas, à dire ses premiers mots. Mon père ne s’en souvenait pas.

J’ai également appris dans la foulée que Gerald était le deuxième prénom de Desmond, mon grand-père paternel. En fin de compte, mon prénom avait une résonance familiale que j’ignorais complètement. J’avais l’impression d’avoir mis à jour un secret de famille.

Toujours au sujet du choix d’un nom, au moment de créer le site qui supporte ce blog, il a fallu trouver un nom. Mais quel nom choisir? Mentionner Gerald pour respecter la tradition familiale que j’avais identifiée? Quelque chose de simple comme A Guy Called Gerald? Pas de chance, c’était déjà pris. Gerry the Ferryman, le nom du blog, me plaisait bien pour des raisons que j’ai déjà expliquées, mais un tel nom pour un site me semblait un peu flou. Que faire? Gerry Kenny est bien la version de mon nom que je préfère, mais c’est un nom tellement banal dans le monde anglophone qu’il fallait trouver une manière de le rendre différent. Ainsi, gerrythekenny.com est né.

Finalement, je crois que nous entendons nos noms et nos prénoms tellement souvent que nous apprenons à vivre avec eux, à nous les approprier. Peut-être que cette publication va aider le récit de votre prénom à refaire surface. Si c’est cas, faites le savoir. J’aimerais bien l’entendre, mais ne serais par vexé si vous décidiez de le raconter à quelqu’un d’autre.

  1. Ce mot étant un néologisme, pour préserver le jeu de mots entre namesake (quelqu’un qui a le même nom qu’un autre) et shake (secouer comme dans un shaker de cocktails), je propose de traduire Nameshake par Le shakeur d’homonymes en français ↩︎

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