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Bienvenue dans la première publication dans la série Récits d’apprentissage. Dans cette section du blog je propose des articles en français ou en anglais sur des expériences d’apprentissages.

Parfois, l’article sera le produit de la rencontre avec un témoin qui accepte de raconter son parcours d’apprenant, souvent inattendu. Parfois, comme ici, je pourrai partager un moment choisi parmi mes propres expériences d’apprentissage.

Bonne lecture.

La solitude du lecteur de fond

J’ai grandi et fait mes études en Angleterre, donc j’ai subi pas mal de classiques de la littérature anglaise. En cherchant dans mes souvenirs un livre, un seul, qui m’aurait marqué, je tombe non seulement sur un livre mais également sur une véritable expérience de lecture. Cela se passe à 13 ans.

Il faut lire Jane Eyre de Charlotte Brontë pour le cours de littérature de Mrs Fullerton. Nous avons trois semaines. Mais je résiste à la lecture de vrais livres depuis longtemps. Je suis plus intéressé par la mobilité du foot et le rugby et, pour aller aux matches, l’indispensable vélo, que par l’immobilité de la lecture. Depuis un moment déjà, je reporte. Jusqu’au samedi matin du dernier week-end des trois semaines imparties à la lecture de Jane Eyre.  Lundi, en cours, il va falloir puiser dans ma connaissance du livre pour faire le travail qu’on me demandera. Pour l’instant, je connais bien la couverture, un auto-portrait de l’auteur.

L’inévitable lecture

Mais là, à quelques jours de la date fatidique, je me trouve face à la montagne de l’obligation de lire le livre. Lorsque je prends ma décision de commencer, enfin, ma lecture, je suis debout face aux lits superposés de la chambre que je partage avec mon frère, Simon. Je pose le livre calmement sur le lit supérieur et, avec un mélange d’inquiétude et de soulagement, j’accepte l’inévitable lecture. 

Je passe assez lentement les premiers chapitres, tout en luttant pour ne pas regarder les numéros en bas de la page. C’est de la torture. Jamais je n’ai vu les chiffres s’égrener aussi lentement.

Petit à petit, l’écran de mon cerveau s’active, malgré moi, et je visualise les difficultés de Jane et je me fonds dans le film de l’histoire. De lecteur en coureur de fond, je ne pense pas à la distance, je ne me plains pas de la douleur. J’avance, sans me poser de questions, le temps qu’il faudra, le nombre de pages nécessaires.

Le temps passant, j’accorde moins en moins d’attention aux pages. Les mots s’enchaînent comme des phrases en continu, avec des scènes, des personnages qui se succèdent.

La ouate narrative

Je reste debout, complètement coupé de la réalité de la maison autour de moi – les portes qui claquent, la chasse d’eau, les conversations, les rires, les cris.

Autour de moi se tisse la ouate narrative. Les seuls mouvements que je m’autorise sont celui de soulever le livre pour mieux le lire, puis celui de tourner les pages, évidemment. J’accompagne les changements de lieux de vie de Jane, ses rencontres, et le poids du livre se confond avec le poids des bagages de Jane, que je porte pour l’aider. Ils sont d’abord lourds à droite et légers à gauche, mais, au fur et à mesure que les pages tournent, la charge s’inverse, et c’est plus léger à droite qu’à gauche

J’accepte de faire attendre Jane pour partager un repas avec la famille, la mienne. Puis je remonte à la chambre, me mets debout devant le texte et plonge, happé par cette dimension parallèle. L’impression du temps qui passe s’efface. D’un coup, c’est la fin de l’après-midi et je me trouve au dernier chapitre. Comment est-ce possible? C’est marqué là, sur la page, avec le mot Conclusion. Je suis épuisé, ému, presque déçu. Mais voilà, c’est fait. Je l’ai lu.

Toi Jane, moi Tarzan

J’ai un sentiment de fierté. Il surgit dans mon esprit la fameuse citation de Johnny Weissmuller : Me Tarzan, you Jane. A13 ans mes repères culturels sont très libres. Mais la citation s’inverse, certainement par respect pour le personnage de Charlotte Brontë, en regardant la couverture du livre que je viens de terminer. A voix basse, audible que pour moi-même, je dis : You Jane, me Tarzan. See you in class on Monday.

Récit d’apprentissage

Ce premier Récit d’apprentissage ouvre une série qui va mélanger mon propre vécu d’apprenant avec des récits fournis par d’autres personnes que je vais rencontrer. La première version de ce texte à été écrite pour une exposition intitulé Le livre coup de cœur de mon adolescence imaginée par les documentalistes du CDI du Lycée Saint-Sernin, Toulouse, France où j’ai travaillé de 2014 à 2022. Merci à Bertrand, Lucile et Laurence pour cette idée lumineuse qui a permis d’effacer le temps entre le coups de cœur de lecture de l’adolescence d’enseignants et la lecture de leurs témoignages par leurs élèves, encore dans l’adolescence.

Remerciements

Pour la mise en ligne de la nouvelle version de cet article, je remercie également deux publications en anglais qui m’ont permis d’affiner la version originale :

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