J’aime les mots, et murmurations est un drôle de mot. Il fait penser aux voix qui murmurent, parlant assez fort pour être audibles, mais pas assez distinctement pour être intelligibles. Murmurations est un mot qui aurait sa place dans une pièce de Shakespeare, peut-être une comédie pleine de méprises ou une tragédie tissée autour d’un complot.

Ciel de Lorenzo Naccarato

Hier soir, Lorenzo Naccarato, pianiste et compositeur franco-italien, m’a ouvert une nouvelle façon de comprendre le terme murmurations. C’était à l’occasion du dernier concert de sa tournée débuté en septembre 2024 dont le parcours accompagnait la migration des oiseaux. Partant du nord de l’Allemagne, il a suivi le tracé d’oiseaux jusqu’en Afrique du Nord, et puis il a continué son voyage jusqu’au Sénégal. Le tout au volant de sa camionnette avec piano à bord. Désormais de retour à sa base toulousaine, il a joué deux concerts à la salle du Bijou au 123 avenue de Muret cette semaine.

Lors du concert de vendredi, en alternant entre le français et l’italien, il a évoqué une signification de murmurations que j’ignorais : les regroupements spectaculaires d’oiseaux en vol formant des figures complexes dans le ciel. Oui, j’avais déjà vu ces grandes nuées d’oiseux qui semblaient se déplacer dans un ballet magique. Et bien, il explique à l’auditoire, sa tournée s’appelle Murmurations parce que lui, pianiste, se déplace pour se trouver lors des haltes musicales sur sa route en scène au centre d’une nuée d’appareils, un ensemble qui va l’aider à générer de la musique.

Pour ceux qui ne l’ont pas encore vu en concert, Lorenzo Naccarato présente le projet musical Murmurations dans un clip vidéo de 5 minutes où il explique quelques principes du dispositif technique qu’il utilise en concert.

En 5 minutes, Lorenzo Naccarato présente son projet musical Murmurations qui suit la migration des oiseaux

En une heure et demie sur scène au Bijou, avec son piano préparé, une platine à disques et une série d’enregistreurs de cassettes, il a su créer une musique joyeuse, profonde, et parfois suspendue. Pourquoi cette posture artistique ressemble au vol des oiseaux tels que les étourneaux qui se déplacent en grand nombre dans des nuées si belles et géométriques ? Parce que si Lorenzo Naccarato a toujours une idée du trajectoire d’un concert, il ne peut pas savoir exactement ce qu’il va jouer avant de l’avoir fait : il doit simplement faire confiance aux instruments et appareils qui volent avec lui. Il dit que nous sommes tous capables d’évoluer en nuées dans notre vie d’humains quel que soit le contexte. Il suffit de savoir compter sur ceux qui nous entourent. Cette idée me plaît.

Ce matin, en me réveillant, les murmurations me sont revenues à l’esprit, et je me suis rendu compte que j’ai eu le regard souvent tourné vers le ciel de Toulouse cette semaine. Lorenzo Naccarato n’était pas la seule rencontre céleste que j’avais faite. Voici les autres composants de ma nuée personnelle récente.

Ciel de M. C. Escher

Jour et Nuit, par M.C. Escher. Collection M. C. Escher Holding, Pays-Bas (©2024 The M. C. Escher Company, The Netherlands.)


Lundi, je me suis trouvé face au ciel de l’œuvre Jour et Nuit réalisée par M. C. Escher, l’artiste et mathémagicien1 . C’était à l’occasion de l’exposition à Toulouse qui lui est dédiée à l’Espace EDF-Bazacle,2 une centrale hydraulique à deux pas du centre ville perchée sur les bords de Garonne depuis 1888. Cette gravure d’Escher, bien que statique et bidimensionnelle, semblait être en mouvement et en trois dimensions : les champs se détachaient du sol pour s’élever en une nuée d’oiseaux noirs qui s’envolaient vers la droite où il faisait déjà nuit, et en une nuée d’oiseaux noirs qui partaient vers la gauche, où il faisait encore jour.3

J’ai dû m’imposer pour pouvoir rester devant la gravure plus de quelques secondes avant de céder ma place aux autres oiseaux de passage, tout juste assez de temps pour saisir les murmurations de cette œuvre paradoxale qui se détachait des autres présentées.

L’Élégance d’Air France

J’ai également vu le ciel présenté d’une toute autre manière à l’exposition Air France, une histoire d’élégance installée pour une escale de deux ans à l’Envol des Pionniers à Montaudran, quartier au sud-est de Toulouse, berceau historique de l’Aéropostale.

L’élégance créative et reconnue d’Air France est déployée dans cette exposition grâce à une scénographie impressionnante d’objets, d’artéfacts, d’uniformes et de maquettes d’avions. Mais ce sont des affiches légendaires de la compagnie et les planisphères riches comme des tableaux de la Renaissance qui font vraiment rêver d’envol. On peut évidemment rester en surface de l’exposition pour admirer la qualité de tout ce travail; on peut également se laisser immerger dans les ambiances sonores d’avions et d’aéroports, tout comme dans la masse des documents vidéos disponibles grâce aux écrans tactiles, pour s’envoler avec les drôles de gens qui s’y retrouvent, de toutes les époques et de partout dans le monde.

A la sortie de l’exposition ce jour-là, il y avait dehors un vent d’autan terrible qui cherchait à nous embarquer. Malgré l’envie et l’endroit, le décollage n’a pas eu lieu.

Tango porté par le vent d’autan

L’autre rencontre que je dois évoquer a eu lieu à la maison. Tout d’un coup, hier après-midi, mon téléphone, posé inactif sur une table, s’est mis à vibrer pour annoncer l’arrivée de nouvelles musiques portées par les airs depuis Buenos Aires. Il s’agissait d’orchestrations instrumentales originales de deux tangos des années 1940, Que falta que me hacés et Tinta Roja, en version 2025.

Nouveau single de Silencio – Face A

Avec cette diffusion, Roger Helou, un pianiste et arrangeur argentin dont je suis le travail riche et souvent surprenant avec enthousiasme depuis plus de 20 ans, annonce qu’il prépare le concert de lancement d’un nouveau single aujourd’hui, le 22 février avec son ensemble Silencio.

C’est un événement, parce que cet oiseau-là ne nous avait pas régalés d’un nouveau disque depuis … 2020! On avait presque fini par réorganiser les lettres du nom de Silencio en sin cielo.4 Et en écoutant ces nouveautés, le temps de l’absence s’est effacé et la musique a pris toute la place. Je regardais par la fenêtre en ce jour où Toulouse tanguait encore sous l’effet d’un vent d’autan taquin, et cette musique a rempli le ciel. J’ai même cru voir passer une murmuration de musiciens.

Ma nuée

C’était ma nuée de ciels. Bon concert à Roger Helou pour ce soir dans le quartier Almagro de Buenos Aires, longtemps une escale de l’Aéropostale. Bonne continuation à Air France dans un monde incertain. Merci à Monsieur Escher pour votre mathémagie, même si après avoir regardé vos gravures de près, j’ai été accaparé par les motifs et les répétitions qui murmuraient de partout. Et merci à Lorenzo Naccarato, pour votre pianomanie et votre œuvre déjà remarquable de musicien-magicien. On pourrait dire mugicien?

  1. Je n’ai pas encore trouvé qui a inventé ce mot valise qu’on utilise souvent pour décrire le travail visuel à la fois mathématique et magique d’Escher. Voici une publication qui emploie le terme pour une exposition au Canada en 2015. ↩︎
  2. L‘exposition Escher à Toulouse continue jusqu’au 30 mars 2025. ↩︎
  3. Une analyse détaillée de Jour et Nuit est disponible ici. ↩︎
  4. Sans ciel en français. ↩︎

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