Voici le deuxième épisode dans cette mini-séries sur la Orquesta Tipica Fernandez Fierro. Le premier épisode, que vous trouverez ici, raconte la découverte de l’existence de cet orchestre de tango en 2003 par la sortie de 2 CDs, marqués par un style affirmé et original. Et l’épisode se termine par l’envoi d’un mail de fan à l’adresse du contact de La Fernandez Fierro à la fin de l’été 2004.
Voyage en Italie
En réponse à mon message, j’ai rapidement reçu un mail de la part de Pablo Jivotovschii (dit Pablo Jivo), violoniste et ambassadeur de l’orchestre, chargé de l’organisation des concerts de La Fierro à l’étranger. Au bout de quelques échanges de mail sympathiques, Pablo annonce une deuxième tournée européenne en octobre-novembre 2004 avec des dates en Italie.
La première tournée a déjà été filmé par le cinéaste Nicolas Entel dans Orquesta Tipica. Dans un véritable road-movie, Entel accompagne les musiciens dans toutes les situations de la tournée et il restitue bien l’engagement de ce jeune orchestre qui découvre la vieille Europe. Une scène de nuit particulièrement réussie montre les musiciens en transit, cartes déployées sur le capot d’une voiture arrêtée, qui dialoguent au sujet du chemin à prendre. Les GPS ne sont pas encore à portée de main. Ils sont perdus mais ils gardent l’espoir. Une belle métaphore. Le film est montré à partir de 2005 et obtient une sortie officielle en 2006.
Avec Sylvie, nous décidons d’entreprendre le long voyage entre Toulouse et Turin pour voir l’orchestre, enfin pour de vrai. Nous prenons 3 trains : Toulouse-Lyon, Lyon-Chambéry, Chambéry-Turin. Puis un tram pendant 15 kilomètres depuis le centre de Turin jusqu’à Rivoli.
Notre voyage depuis Toulouse est récompensé par les mots magiques sur la petite affiche orange: sabato 30 ottobre 2004, La OrquestaTipica Fernandez Fierro. Nous sommes devant le portail de la Maison Musique, en français dans le texte, bien que nous soyons en Italie. Ce soir, La Fernandez Fierro ne joue pas seulement à la Maison Musique, mais à la maison tout court. Ils sont déjà venus à Turin en 2003 et connaissent bien les organisateurs de la soirée, Aurora Fornuto et l’association Locomotiva Tanguera.
La balance
Lorsqu’ils émergent d’une sieste réparatrice pour la balance, les musiciens sont tous à l’heure et rapidement en grande forme musicale. La chasse au bon son est ouverte, et le technicien de la Maison Musique répond présent. De concert avec Julian Peralta, pianiste de l’orchestre, il s’applique à construire une véritable architecture sonore. La musique semble jaillir du sol. L’impression de puissance sans excès, que donnaient déjà les enregistrements de l’orchestre, semble ici se multiplier avec La Yumba jouée comme pour fêter la fin de la séance de balance avec le bandonéoniste Patricio Bonfiglio au piano. Un dernier réglage scénique important – la suspension du drapeau rouge et blanc au nom de l’orchestre en toile de fond – se fait plus tard, pendant le début du bal, alors que les premiers danseurs évoluent sur la piste.
Le premier set
L’heure du premier set arrive. L’effet visuel des 11 musiciens qui déambulent sur scène est surprenant. Habillés sur scène comme dans la vie, en jeans et T-shirts divers et variés, La Fernandez Fierro réussit en quelques instants l’effacement de nos mémoires de tanguerxs tout souvenir d’un tango smoking et paillettes. Les 4 bandonéonistes en particulier attirent le regard : leurs instruments portés à l’épaule ou sur le dos, ils s’installent comme des fauves. Mais ils sont venus pour jouer. En quelques instants le signal de départ est donné.
Camandulaje d’Orlando Gobbi permet une ouverture classique, puis Waldo de Julian Peralta nous montre les qualités de l’orchestre dans son propre répertoire. Pour le troisième titre, c’est l’entrée du chanteur, Walter Chino Laborde, tout en élégance. Costume noir à rayures, chemise noire, cravate de soie blanche, il interprète Maria de Troilo-Manzi, un tango classique nouvellement arrivé dans le programme de l’orchestre. Il chante d’une voix naturelle et facile, et profite du micro pour encourager les danseurs à engager quelques pas, s’ils le souhaitent. C’est vrai que les yeux de tous sont rivés sur la scène, tellement ce qui s’y produit est hors-normes.
Pourquoi nous sommes-nous tous et toutes arrêté.e.s pour regarder la scène ? Pour voir la source de ce son ample et généreux. A droite, en fond de scène, le quatuor de violons et alto donne des coups d’archet unis qui dégagent une énergie inattendue. Puis en première ligne, sur le devant de la scène, il y a tous ces bandonéons : 4 têtes baissées scandent le rythme à l’unisson, chacun ayant des passages en solo ou en accompagnement en fonction du morceau. Entre violons et bandonéons se trouvent, de part et d’autre, un violoncelle lyrique et une contrebasse pilotée avec fermeté par un homme aux cheveux longs en lunettes noires. La direction musicale vient, presque par miracle, de l’homme discret assis au piano. Tout ceci, sans perdre le fil de ces arrangements qui ont tous, ne l’oublions pas, été créées par La Fernandez Fierro. Il n’y a aucune partition de musique sur scène.
Suivent Zita, Te Llaman Malevo, Mal Arreado et La Cancion Desesperada dans une alternance entre instrumentaux et tangos chantés. Et au moment où nous nous amusons à remarquer des traits de Pugliese, Troilo, Gobbi et Piazzolla dans l’orchestration, La Fernandez Fierro nous surprennent en jouant … une chacarera ! Il est interdit de s’ennuyer ici !
L’entracte
A l’entracte, nous allons discuter avec les musiciens qui se disent contents de la salle, du son, du public. Pablo Jivo nous explique combien l’énergie que dégagent la masse des musiciens est importante sur scène. Il ne refuse pas la comparaison avec certains groupes de rock pour parler de l’impact scénique de l’orchestre. Les bandonéonistes en particulier jouent leurs instruments avec l’intensité de guitaristes de rock. Mais soyons clairs, il s’agit bien du tango argentin ici, joué par de jeunes musiciens, convaincus que quelque chose de nouveau peut encore naître de cette forme ancienne.
Le deuxième set
Deuxième set. D’abord une version sublime de MilongueroViejo, puis l’orchestre accompagne Chino Laborde sur El Milagro. Ensuite chanteur, pianiste et bandonéonistes quittent la scène. Les 6 instrumentistes à cordes se rapprochent un peu, se regardent et, au premier coup d’archet du contrebassiste Yuri Venturin, attaquent, comme un seul homme, leur version originale de Si sos brujo!!! d’Emilio Balcarce. La qualité et la précision de cette performance font oublier qu’il s’agit d’un numéro de haute voltige. L’orchestre se retrouve au complet pour Punto y Branca, une composition originale de Julian Peralta, dont la version de ce soir éclipse l’enregistrement de 2001.
Chino Laborde revient pour Cuesta Abajo de Gardel-Le Pera, repris en cœur par le public italien. Grande émotion. A la fin du morceau il réajuste avec satisfaction le nœud papillon blanc qu’il a rajouté par dessus sa cravate. Une milonga, Taquito Militar, est suivie, presque sans pause, d’une version nouvelle de Evasion de Piazzolla à couper le souffle. Cette capacité de l’orchestre à exprimer son talent sur tant de registres est frappante et constitue sans doute la grande force de La Fernandez Fierro sur scène. Sans oublier l’humour de la mise en scène, incarné par les déguisements et accessoires de Chino Laborde lorsqu’il chante Tabaco et Trenzas, deux tangos enregistrés par l’orchestre en 2003, mais sans les effets très spéciaux de ce soir.
La fin du set nous livre également un rappel des ressources musicales propres à l’orchestre. Si nous connaissions déjà la version studio de Sin dudas y con firmeza de Yuri Venturin, le contrebassiste, rien ne vaut son sourire joyeux en début et en fin de morceau sur scène.
Les rappels
Deux nouveaux morceaux du pianiste Julian Peralta, Via Circuito, puis Chiru, laissent entrevoir de belles perspectives d’un tango vraiment nouveau: polyphonique, rythmé pour la danse, inspiré du répertoire, mais résolument différent.
Merci au violoniste Federico Terranova de La Orquesta Los Crayones pour la mise en ligne des vidéos de Camandulaje et Chiru sur sa chaine YouTube qui ont servi d’illustrations pour cet article. Federico est un membre historique de La Fernandez Fierro, et son choix des vidéos dans ses archives récemment mis en ligne montre bien la puissance de cet orchestre dans les années charnières de ses débuts.
Prologo, le dernier des 3 rappels au concert de Rivoli, confirme cette idée d’ouverture d’horizon, de choses à venir. D’abord par son titre qui est paradoxal pour un dernier morceau. Puis dans la façon de l’achever : les musiciens ne terminent pas ce tango, mais l’abandonnent, instrument par instrument, quittant la scène les uns après les autres, laissant seul la contrebasse sur scène avec l’archet qui prolonge la résonance d’une sonorité grave qui n’en finit pas. Prologue à quoi ? Quelques dates enfin pour la OrquestaTipica Fernandez Fierro en France en 2005 ?
Et maintenant?
En tout cas, le contact est pris avec les musiciens, et nous repartons avec l’idée que Toulouse sera inscrit sur la prochaine tournée européenne de l’orchestre. Mais est-ce si facile à réaliser? La suite au prochain épisode…
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