Réel ou inspiré de faits réels ?
La Coupe du Monde de Rugby 2023 permet de mettre un coup de projecteur sur un jeu en évolution constante avec des matchs dont il est difficile de prévoir le résultat avant l’écoulement des 80 minutes. Cette compétition est réellement inspirée mais, comme les places au stade sont limitées, nous suivons les rencontres presque en leur totalité à la télévision, en direct ou en différée.
Mais quel est le vrai match? Celui du stade où il n’y a pas de filtre, juste l’action sur le terrain et quelques écrans pour rediffuser des actions réussies ou litigieuses? Ou celui construit par une équipe de production pour la rediffusion en direct à la télévision ou en ligne grâce aux caméras sur place, avec les commentaires des experts et les ralentis?
Pour essayer de mieux comprendre, je vais partager mon expérience du match de rugby à Toulouse du 8 octobre 2023 entre le Portugal et Fidji. C’était le dernier match de la phases de pools qui désignent les huit équipes qui joueront les quarts de finale. Avant ce match, dans le pool C, l’équipe des Fidjiens (10 points) se trouve en troisième place dans son groupe derrière le Pays de Galles en tête (19 points) et l’Australie (11 points) classé provisoirement deuxième. Fidji peut encore se qualifier en battant le Portugal, ce qui semble possible vue l’expérience de l’équipe, ou en récupérant un point défensif. Cependant, les Portugais ont du talent et un jeu assez débridé, et cherchent une première victoire contre une grande équipe internationale.
Aller au stade voir un match que plein de gens vont voir à la télévision nous fait passer de l’autre côté de l’écran. Mais qu’allons nous trouver? Des moments plus proches de la réalité? Ou allons-nous devenir des figurants dans une fiction? Suivez moi …
Purement fictif
En début d’œuvres de fiction, nous avons pris l’habitude de voir les avertissements qui nous rappellent que nous sommes bien dans le domaine de l’imaginaire. L’articulation peut varier, mais le message ressemble à ceci :
« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »
Extrait du site de Michel Balmont
Ainsi, une histoire peut être remplie de vraisemblance, et avoir l’air réelle, sans l’être. Cet effet de réel nous permet de nous laisser emporter par les personnages fictifs et les situations qu’ils rencontrent. Les acteurs nous font vibrer, comme l’explique Pour la Science. Parfois, il nous arrive d’identifier ces personnages avec des personnes réelles et de penser que l’histoire racontée par le film ou la série nous révèlent leur vécu. Mais le plus souvent, nous nous identifions avec les personnages : nous sommes heureux lorsqu’ils le sont, et ressentons leurs inquiétudes ou leurs souffrances tout aussi facilement. Nos neurones miroirs fonctionnent.
Les neurones miroirs sont une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu’un individu exécute une action que lorsqu’il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu’il imagine une telle action, d’où le terme miroir.
Neurone miroir, Wikipédia
Devant un match de rugby, ou tout événement sportif où nous sommes spectateurs, nos neurones miroirs fonctionnent également. Notre équipe joue et, comme nous sommes supporters, ce que nos joueurs subissent, nous le subissons aussi. Quand c’est dur pour eux, nous souffrons aussi, nous partageons leurs peines. Nous avons mal pour eux et avec eux. Et quand ils gagnent, c’est notre victoire, évidemment.
Inspiré de faits réels
Le cinéma et la télévision ont longtemps vécu grâce aux œuvres purement fictives selon la formule. Mais depuis quelques années, la tendance s’est inversée. Désormais, le label inspiré de faits réels s’est imposé dans les films et les séries, notamment avec les plateformes de streaming payantes.
Désormais, le message semble être différent : cette histoire va vous embarquer comme une fiction, avec des personnages et des situations qui vont vous saisir comme cela peut arriver avec un drame, une aventure ou un conte inventés; mais ne vous trompez pas, car aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il s’agit bien d’une histoire inspirée de fait réels. Une histoire incroyable mais vraie.
Mais quel est le statut d’un événement sportif, retransmis en direct? Imaginons un peu. Au début de chaque retransmission d’un événement en direct vous lirez un message affiché sur l’écran : Inspiré de faits réels. Quelle serait votre réaction?
Il est temps d’aller au stade.
Entre fiction et réalité
J’ai eu la chance d’être présent au match Portugal-Fidji de la Coupe du Monde de Rugby 2023 à Toulouse.
Tout a commencé par l’approche du stade à pied, au milieu de la foule, suivant le chemin balisé. Puis, une fois dans l’enceinte du stade, pour trouver notre entrée aux gradins, il fallait serpenter entre les personnes qui patientaient dans les queues interminables devant les bars, les stands, les camions qui proposaient sandwiches, burgers, hot-dogs, frites, crêpes, et à boire et à boire et à boire. Une foule multinationale – Coupe du Monde oblige – polyglotte et multicolore. Grosse présence portugaise en raison de l’importance d’une diaspora très implantée en France.
Une fois assis, nous avons observé les équipes à l’échauffement. Devant nous les Fidjiens répètent combinaisons, lancements et passes avec un mélange de force et d’élégance. Ils sont à la fois massifs et mobiles. Les Portugais évoluent plus loin mais sont tout aussi actifs.
Les hymnes passent. Les Fidjiens exécutent leur cibi, l’équivalent du haka des All Blacks, une danse de guerre avec des cris. Le match est tendu. Les Fidjiens semblent dominants physiquement mais la défense portugaise est solide. Le mouvement sur le terrain est constant, mais entrecoupé de blessures et de changements qui ralentissent le jeu. Les deux équipes se déplacent énormément – notamment lorsqu’elles suivent des percées individuelles qui semblent presque magiques. Mais il y a beaucoup d’erreurs, de ballons tombés. Aucune des deux équipes dominent l’autre réellement. Ils se rendent coup pour coup. Et à la fin, c’est les Portugais qui gagnent le match. Nous sommes contents pour eux, mais tristes pour les Fidjiens vaillants.
Retour de stade
Une fois rentrés à la maison nous regardons le résumé du match en rediffusion. Ce n’est pas le même match. Il y a beaucoup de rythme et d’intensité lorsque les actions sont filmées de près. Et puis nous découvrons à notre grande surprise que les Fidjiens se qualifient pour les quarts de finale grâce au point de bonus défensif qui les placent devant l’Australie dans la même poule. Incroyable mais vrai, en quelque sorte.
J’étais donc présent à ce match, gagné in extremis par le Portugal 24-23 dans les derniers instants. Une victoire inespérée pour une équipe montante contre les Fidjiens bien établis dans le rugby mondial. Mais ce n’est qu’après coup, une fois rentré à la maison, et après avoir revu le match à la demande, que j’ai réalisé que j’ai assisté à l’un des meilleurs matchs de la phase de pools de la compétition 2023. J’ai vu ce qui s’est passé, de mes yeux, et j’ai vibré au stade, alors que le film du match est une réécriture.
Nous repensons aux joueurs fidjiens dévastés à la fin du match : savaient-ils qu’ils étaient qualifiés grâce au point de bonus défensif? Certains étaient inconsolables. Ils étaient peut-être simplement épuisés. Ou perdus dans la fiction d’un match de rugby qu’ils venaient de vivre en direct.
Merci à Audrey et Sylvie pour les billets en cadeau de Noël, et à Sam pour sa compagnie au match. A quelques minutes de la finale de la Coupe du Monde de Rugby 2023 ce soir entre la Nouvelle Zélande et l’Afrique du Sud, diffusé en direct, je voulais partagé ce souvenir d’une compétition hors-normes. Ce n’est pas la finale France-Irlande que nous espérions, mais pourvu qu’elle soit tout aussi inspirée. Bon match!
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