Catherine Berbessou et Federico Rodriguez Moreno

Une soirée importante dans un festival de tango est celle où les couples de professionnels prennent la piste pour montrer leurs meilleures chorégraphies devant un public payant.

Le tango est sorti des bals populaires pour devenir spectacle. L’arène de la piste de danse attend les combattants. Et les ambitions sont grandes. Pour les connaisseurs, il s’agit de voir quel couple va réaliser la meilleure performance.

En général, voici le genre de prestation attendue :

Mundial de Tango, Buenos Aires 2022

Mais que se passe t il lorsqu’un couple fait autrement? Comme dans le spectacle Valser de 1999 :

Teaser de Valser, spectacle de Catherine Berbessou,
repris par le Ballet du Théâtre du Capitole de Toulouse

Nous sommes au Festival Tarbes en Tango 2005. Le public s’impatiente, consulte le programme de la soirée. Catherine Berbessou avance dans le noir, seule entre le bord de la piste de danse. Habillée en clair, elle est facilement perceptible dans la pénombre.

Le public se prépare à voir une chorégraphie de tango propre, faite d’exploits techniques, réalisée sans faille, alors que Catherine Berbessou se tend vers une chorégraphie d’avenir à venir qui va se réaliser dans la faille. Une chorégraphie de l’extrême en quelque sorte. Le caractère de la performance n’est connu, pour l’instant, que d’elle-même et de Federico Rodriguez Moreno, son partenaire, encore invisible aux yeux du public. En regardant vers la régie, on peut distinguer une petite lumière qui clignote dans le reflet des lunettes du sonorisateur : le lecteur CD est en position de pause.

Même de loin, l’attention s’arrête sur la coiffure de Catherine qui semble être terminée en vitesse, puis une bretelle qui tombe de l’épaule. Les choses ne sont pas réglées comme d’habitude, parce que la danseuse est sur le point d’entrer par effraction dans ce spectacle de tango. Elle va faire quelque chose qui n’est destiné ni a plaire ni a rassurer. Est-ce bien raisonnable ? D’après son sourire, cette question l’amuse, comme le vide amuse le sauteur à l’élastique qui sait que le vide est nécessaire pour l’exploit à accomplir.

Catherine arrive au centre de la piste et s’arrête. Lentement, Federico sort de l’ombre de angle de la piste et vient la rejoindre d’un pas lourd, chemise déboutonnée. Il arrive derrière Catherine et l’enlace. Sans se regarder, ils se rapprochent l’un de l’autre, presque maladroitement. La musique peut commencer.

C’est quoi, cette musique? Ce n’est pas du tango. C’est autre chose :

Close Again, musique choisi par Catherine Berbessou et Federico Rodriguez Moreno
pour la grande soirée des maestros de tango à Tarbes en Tango 2005

C’est qui l’orchestre ? Dans les soirées de spectacle de tango, le programme indique toujours le noms des danseurs, le titre du tango choisi et le nom de l’orchestre. Pour le couple de Catherine et Federico, le programme de la soirée n’est pas bavard au sujet de l’orchestre. Il semble même qu’il s’agisse d’une erreur : Les Edukators. Pas vraiment un nom d’orquesta tipica de l’âge d’or du tango.

En effet, la musique est un extrait de la bande original du film allemand Les Edukators sur un kidnapping qui tourne mal. Les paroles sont en anglais :

Your love love love is a shame

Your love love love hasn’t changed

Ce n’est ni du tango, ni de l’électro tango, ni de la techno. Il s’agit bien de 5 minutes 42 secondes de Sid Le Rock, artiste canadien habitant en Allemagne, l’inventeur du Rockno, ce nouveau style qui mélange techno et rock minimaliste.

Si la musique semble prendre toute la place au début de la chorégraphie, petit à petit, la danse prend le dessus, tant l’énergie et la prise de risque sont fortes. Les mouvements circulaires du couple, bâtis à partir d’éléments du tango, et qui semblent d’abord en contradiction avec la musique, finissent par nous aspirer. L’effet de contraste est surprenant. De plus, il s’agit d’une vraie chorégraphie de séparation-réunification, comme nous le montre si bien la transition parfaitement en musique de l’instant où Federico allume une cigarette avant de l’écraser au mépris de l’espace sacré de la piste pour reprendre la danse. Pas de Malboro tango ici. Seulement du tabac. Faire un tabac avec du tabac. Enfreindre la loi plutôt que négocier un espace non fumeur.

D’où vient cette idée de questionner le tango traditionnel et ses codes? Quelques clés de la démarche de Catherine Berbessou et ses danseurs :

Interview au sujet du spectacle Valser de Catherine Berbessou

Au Festival Tarbes en Tango en 2005, la proposition de Catherine et Federico a reçu des applaudissements d’une partie des spectateurs. Le public applaudit quoi ce soir-là ? La question doit rester sans réponse simple. A chacun d’assumer sa réaction et de l’expliquer. Pour ma part, je me tourne vers le sous titre du film Les Edukators  qui est Vivre libre et rebelle. C’est peut-être la devise chorégraphique qui sied le mieux au spectacle par un couple qui a choisi de danser autrement dans une création rebelle de libre tango.

Merci Catherine et Federico.

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