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La mort n’est rien. Elle ne compte pas. Je suis simplement passé dans la pièce d’à côté. Il ne s’est rien passé. Tout est resté exactement comme avant. Je suis moi, vous êtes vous, et la vie d’autrefois que nous avons vécue, pleine d’affection l’un pour l’autre, demeure intacte, inchangée.
LA MORT N’EST RIEN – Henry Scott Holland1
Si cette citation vous semble familière, c’est peut-être parce que, comme moi, vous l’avez entendue lors d’obsèques. Il est même possible que vous ayez choisi de le lire à voix haute vous-même lors d’une prise de parole au moment d’une cérémonie en souvenir d’un proche disparu.
Ce n’est sûrement pas tout à fait par hasard que l’idée de la pièce d’à côté soit évoquée par le titre du nouveau film impressionnant de Pedro Almodovar qui s’appelle, pour sa sortie française, La Chambre d’à côté. L’œuvre constitue le premier long-métrage en langue anglaise du réalisateur espagnol. La mort n’est pas ici un simple accident sans importance,2 mais fait bien partie d’un plan ourdi par Martha, le personnage principal en phase terminale d’un cancer, qui demande à Ingrid, une vieille amie, de partager une maison avec elle en attendant le moment où elle va avaler le cachet qui va mettre fin à sa vie. L’acte fatal a lieu en dehors de la présence d’Ingrid. Martha lui explique que, comme elle dort toujours avec porte close dans sa chambre, la porte fermée sera le signal pour informer Ingrid que son amie serait aller jusqu’au bout de son projet de fin de vie.
Le film est l’adaptation d’un roman américain de Sigrid Nunez publié en français sous le titre Quel est donc ton tourment? Je n’ai pas lu le livre, mais le film tisse une toile composée de plusieurs fils : les rapports avec la mort d’une personne en phase terminale d’une maladie, le droit de choisir sa propre mort et comment l’organiser, la tension entre cette liberté de choix et la condamnation d’un tel acte prononcée par les religions, la relation entre la mort assistée et la loi.3
Comme le rappelle Almodovar en entretien chez France Infos : “Aux États-Unis, où se passe cette histoire, il n’y a pas de loi sur l’euthanasie, en Espagne, oui. Aux USA, la personne qui aide est dénoncée parce qu’elle commet un crime et va en prison.” Ainsi, il prend le soin d’équilibrer sa réalisation entre les moments dramatiques et ceux imprégnés d’humour noir, ce qui lui permet d’ouvrir le débat et de soulever les questions difficiles tout en restant dans son style et son esthétique.
Je ne vais pas en dire plus pour ne pas divulgâcher le film au cas où vous ne l’auriez pas vu. Sachez qu’il s’agit d’une histoire qui va résister au temps. Un jour, tôt ou tard, elle se présentera sur votre chemin. C’est un film qui vaut vraiment le détour. Allez-y avec un.e ami.e. Mais choisissez bien l’ami.e en question.
Attraper la mort
C’est vrai que la mort n’est très accrocheur comme sujet. Nous pouvons très bien passer toute notre vie à l’éviter, mais la mort finit toujours par nous rattraper.
Dans les jours qui ont suivi la projection de La Chambre d’à coté, il y avait une expression de ma mère venant de mon enfance qui ne cessait de tourner dans ma tête : fais attention ou tu vas attraper la mort. Bien sûr, attraper la mort voulait dire attraper un rhume, attraper un coup de froid et tomber malade, pas forcément mourir. C’était une façon de nous inciter à nous couvrir contre le froid du climat en Angleterre. Elle l’utilisait aussi pour nous dire de fermer une porte ou une fenêtre contre un courant d’air qui pouvait entrer dans une pièce ou dans la maison.
Si cette expression résonnait dans ma tête suite au film d’Almodovar, il devait bien avoir une raison. C’était quoi le rapport? Je me le demandais. Puis, d’un coup, c’est venu : c’était à cause de la porte! Pour aller dans la pièce d’à côté, il faut bien passer par la porte, et Martha a fermé la porte pour matérialiser le seuil à son amie, restée de l’autre côté. Au seuil de la mort? En effet. Tout me renvoyait vers un texte que j’avais écrit à propos de la dernière fois que j’avais vu ma mère encore vivante.
Il y a des personnes qui prennent des photos de choses qu’elles veulent garder. En ce qui me concerne, je prends également des photos avec des mots. Voici une image en deux parties. En premier, l’image que je garde de ma mère au seuil de la mort en soins palliatifs. En deuxième, l’image créée à partir de la question qui m’est restée le jour où j’ai appris qu’elle s’était glissée hors du monde. C’était il y a deux ans, jour pour jour. La charnière entre les deux se fait par la phrase : “Alors, raconte-moi.”
AU SEUIL DE LA MORT
Tu m’observes depuis
Ton lit de lutte,
Le regard si éclatant,
Si inattendu,
Que j’en suis tout secoué.
Ton aura nous apaise
D’un sourire lumineux,
Mais ta voix avance telle celle
D’une somnambule, tâtonnant
Le long de murs fantômes.
En vain, je parcours les archives
De ma mémoire orale
Pour sagesses et traits d’humour,
Des preuves du mythe qui dit que
Maman a toujours le dernier mot.
On t’a connue causeuse,
Et parfois taiseuse,
Mais ce matin ton visage
Semble tourné vers le vide
Et guette le bâillement d’une porte.
Alors, raconte-moi.
Y a-t-il un seuil de la mort ?
Ou est-ce un lieu imaginé
Par des vivants qui craignent d’y passer?
Qu’est-ce qui précède la fin du souffle?
Existe-t-il un bouton secret
Entre lèvres et poumons à déclencher?
Quand la fin arrive, le savons-nous?
Ou n’y a-t-il rien d’autre à voir
Qu’un éclat blanc, suivi d’un grand trou noir?
Pas de témoins de ton départ
Le matin où tu étais, puis ne fus plus.
Personne à l’accueil.
Même plus de seuil.
Un simple courant d’air
Où tu as attrapé
La mort qui a mis
Toute sa tendresse
Pour mieux t’attraper
Toi aussi.
- La source est le texte La Mort n’est rien. Attribué par erreur à Charles Péguy et même Saint Augustin, l’auteur en est Henry Scott Holland. ↩︎
- Parfois absent des traductions françaises, l’original en anglais qualifie la mort de “negligible accident“, c’est à dire d’accident sans importance. ↩︎
- En France, la dissolution de l’Assemblée Nationale a eu lieu précisément au moment où les débats devaient avoir lieu au sujet d’une proposition de loi sur les droits des malades et la fin de vie. Longtemps en préparation, cette loi est actuellement suspendue en attendant le calendrier parlementaire du nouveau gouvernement de François Bayrou. Affaire à suivre. ↩︎
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