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Les enseignants le savent bien, les années collège-lycée constituent le moment où les adolescents prennent conscience de leur propre voix, souvent avec ce sursaut d’auto-perception la première fois qu’ils s’adressent à toute une classe lors d’une présentation à oral. Soudain, tous les regards se tournent vers eux. Enfin l’occasion d’élever la voix et de s’exprimer sa pensée? Ou la sensation d’être tellement submergé par sa propre singularité que la voix vacille, semblant trébucher sur elle-même ?

Pour certains, prendre la parole seul en public est naturel ; pour d’autres, il s’agit d’un défi considérable. Cependant, à une époque de sa vie où l’image de soi et le besoin d’être accepté par les autres le préoccupent tout particulièrement, lorsqu’un adolescent en difficulté à l’oral nous lâche « … de toute façon, je n’aime pas le son de ma voix, » il nous lance un défi pédagogique. S’il est seul à le dire, il n’est certainement pas le seul dans la classe à le vivre. Nous allons essayer d’y voir plus clairement dans cet article qui fait partie de notre série Prendre plaisir à prendre la parole.

Écouter le son de sa voix comme on regarde le visage d’un selfie

La prise de conscience du son de sa propre voix arrive souvent par l’écoute d’un enregistrement. Cet instant peut être aussi perturbant que la découverte d’un selfie. Justement, des selfies, parlons en.

Selon le site Photography Revision, 93 million de selfies sont prises quotidiennement dans le monde en 2025. On estime qu’un lycéen moyen prend entre un et quatre selfies par jour – certains bien plus! Mais, une fois que la photo est prise, il se passe quelque chose de curieux : « Si 11 secondes suffisent pour juger la qualité d’un selfie, jusqu’à 26 minutes sont parfois nécessaires pour décider de son impact social potentiel méritant le partage. »1 L’image est une chose, mais le besoin d’évaluer son impact en est une autre.

Est-ce vraiment moi?
Photo – Antoine Beauvillain surUnsplash

Cependant, même la question de la qualité du selfie peut poser problème. Comme le dit un journaliste de Biba Magazine en 2020 : « Tiens, tiens, on se trouvait absolument canon il y a dix minutes dans le miroir, et impossible maintenant de faire un selfie potable. » La photo ne reproduit pas le visage de nous-mêmes que nous avons l’habitude de voir dans un miroir, mais celui que les autres voient : « Les photos dévoilent, dans la plupart des cas, l’inverse de ce qu’on voit dans une glace ; elles restituent notre image telle que les autres la voient ; comme si elles disaient finalement la vérité. »

Notre regard envers nos selfies peut nous aider à comprendre notre perception parfois perturbée du son de notre propre voix.

La confrontation vocale vs l’effet d’accoutumance

La voix que nous entendons lorsque nous parlons tous les jours nous parvient en partie par nos oreilles, et en partie en résonance par les os de notre visage. Ce trajectoire donne à notre voix un ton plus grave et plus riche que la voix qu’entend une personne qui nous écoute. Mais c’est cette deuxième voix, celle entendue habituellement par les autres, que capte un enregistrement – une voix que ne pouvons pas toujours reconnaître pleinement. Ce phénomène de non-reconnaissance, et même de rejet, s’appelle la confrontation vocale.

Est-ce vraiment ma voix?!
Source Freepik

Nul besoin d’enregistrement pour vivre la confrontation vocale : une simple prise de parole en public peut suffire. Le son notre voix est un phénomène auditif tellement fréquent dans notre vie que nous n’y prêtons plus d’attention. Nous connaissons bien ce phénomène en rapport avec le bruit des voitures dans la rue où nous habitons, ou le bruit d’une cloche qui sonnent les heures : certains bruits semblent apparaître puis disparaitre dans un environnement sonore familier. Selon Rebecca Kleinberger, chercheure au MIT, un filtre neurologique dans notre cortex auditif se met en veille lorsque nous parlons : notre cerveau a tellement l’habitude d’entendre le son de notre voix qu’il ne l’écoute plus.2

Cet effet d’accoutumance qui autorise le cerveau à couper le son est parfois perturbé dans une prise de parole en public : notre voix est au centre de l’écoute d’un auditoire, une écoute qui peut nous sembler tellement intense que nous perdions le fil de notre propos, allant jusqu’à rompre la fluidité de notre débit. Tout d’un coup, le cerveau s’intéresse à cette voix – qu’il entend tout le temps, mais qu’il n’écoute plus par habitude – que tout le monde semble écouter. Le filtre neurologique dans notre cortex auditif, qui était en veille, se rallume. Cette voix familière resurgit comme un son nouveau qui peut déranger. Pour certaines personnes, cette perturbation rend la prise de parole en public très pénible et parfois impossible.

Apprendre à faire entendre sa voix

Faire de l’oral, c’est donner de la voix. L’oral s’impose en cours dans l’enseignement secondaire dans toutes les disciplines en France, surtout depuis la création de l’épreuve du Grand Oral au Baccalauréat qui incite les enseignants à accorder une place plus prépondérante à l’oral dans les modes de formation et d’évaluation. Ainsi, pour un élève qui apprécie l’évaluation écrite, montrer ses connaissances n’est plus simplement bien écrire, mais également bien parler. On fait de l’oral même en dehors des cours de langues : il faut donner de la voix, et chacun est obligé d’y aller pour que sa voix s’entende.

Comprendre ce qu’il se passe lors de la confrontation vocale, tout comme saisir le mécanisme qui déclenche le rallumage du cortex auditif lors de prises de parole en public, constituent des étapes importantes vers l’acceptation du son de sa voix. Encourager les élèves à enregistrer et à réécouter des notes vocales sur leurs téléphones les incitent à reconnaitre, comme étant la leur, la voix qui semble si bizarre dans sa version publique lorsqu’elle est enregistrée par une machine.

Aller plus loin

Créer des situations d’apprentissage où l’enregistrement de la voix trouve une place est essentiel pour poursuivre cette appropriation du son de la voix par nos élèves. Une piste possible est proposée dans le deuxième volet de cette réflexion intitulé Réaliser un journal radio collaboratif en direct en classe qui est disponible ICI.

  1. Citation de l’article en anglais : How many selfies are taken a day in 2025? ↩︎
  2. TED Talk Pourquoi vous n’aimez pas le son de votre propre voix, novembre 2017. Disponible avec sous titres en français ICI. ↩︎