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Dans un monde où l’attaque est de plus en plus considérée comme la meilleure, et souvent la seule, forme de défense, nous continuons à recevoir des piqures de rappel qui démontrent que tout ça peut s’arrêter d’un coup, malgré toutes nos technologies et tous nos désirs de domination.

Hier, à l’endroit où j’habite en France, le ciel était voilé de brume toute la journée et, comme le vent soufflait d’Espagne, nous l’avons prise pour une brume de chaleur. En réalité, il se trouve que c’était un effet météorologique des incendies de forêt gigantesques au Canada qui ont déjà dévoré une surface à peine imaginable de 3,25 millions d’hectares. Cette nouvelle triste se rajoute à une actualité mondiale faite de guerres et de conflits. Selon la Chaine Météo, il y a une bonne nouvelle : même si la fumée fait encore tousser le Canada, celle observée hier en Europe se déplaçait à plus de 9000 mètres, bien trop élevée pour constituer un risque pour notre santé. Aujourd’hui, le ciel est dégagé de nouveau, mais dans l’azur de la mémoire se dégage l’ombre d’un autre incident, tout aussi étrange, survenu en 2010 lors de l’éruption d’un volcan en Islande.

Il s’agit bien sûr du nuage de cendres produit par le volcan au nom notoirement imprononçable de Eyjafjallajökull – une éruption si violente qu’elle a crée un panache volcanique atteignant une altitude de 4300 mètres, constituant un tel danger pour l’aviation qu’il a fallu annuler un total de 95,000 vols entre le 16 et le 21 avril 2010.1

Avec 10 ans d’avance sur le confinement du COVID, cet arrêt brusque des déplacements aériens en Europe représentait, sans que nous le sachions, une répétition générale pour l’immobilisation globale à venir en mars 2020. Si la suspension des vols a impliqué moins de figurants pour le scénario volcanique que pour la saga pandémique, les personnes affectées étaient toutes aussi bien figées sur place sans autres alternatives que l’attente.

La météo provoquée hier par les incendies au Canada m’a incité à débusquer un texte que j’avais écrit au moment de l’éruption de 2010. Un témoignage noté sur le moment.

EYJAFJÖLL L’ANTI-SAGA

Le glacier assis sur le volcan
A renversé le temps du voyage
Nous débarquant pour mieux nous emporter.

Destination – une terre riche d’une longue tradition
De grandes histoires aux débuts simples,
Le récit toujours en embuscade.

L’histoire mal racontée qui ne fait pas dormir
Mais tient un monde en haleine, sans ailes,
Aux aguets, éveillé et inquiet.

Non pas la saga cette fois, mais l’anti-saga,
Fait d’événements figés, empêchant le départ du héros,
Pris par l’hiver sans avertissement.

Horrible à voir, tout ces pensées non voulues et impensables
Qui luttent pour trouver un chemin à travers les cendres
De ce nuage d’immobilité.

Les sagas d’Islande racontent des triangles d’amour, des querelles meurtrières, et des voyages de héros qui partent seuls pour venger leurs familles ou leur entourage au sens plus large. Une saga ne se limite pas à un catalogue de prouesses au combat dans un monde rempli de créatures fantastiques et d’armes mystérieuses. L’histoire peut également raconter le voyage intérieur d’un individu obligé à trouver le courage d’agir malgré tous les obstacles que se présentent devant lui.2

Par rapport aux effets produits par la pandémie du COVID-19, l’incident provoqué par Eyjafjallajökull peut sembler anecdotique, une broutille. En vieux norrois, la langue source du monde scandinave, ce genre de broutille ou d’incident se dit skrap. Ce mot donne scrap en anglais moderne, connu mondialement grâce à scrapbook, nos cahiers de souvenirs. Le poème que j’ai intitulé Eyjafjôll l’anti-saga est une broutille du même ordre, des restes récupérés du court récit d’une immobilité momentanée qui a rendu tant de missions impossibles parce que leurs héros se sont trouvés bloqués, bagages en mains. Une broutille de plus pour le cahier de souvenirs.

  1. Plus de détails sont donnés par la page Wikipédia Répercussions de l’éruption de l’Eyjafjöll en 2010 sur le trafic aérien. ↩︎
  2. Le site Toute l’Islande partage les richesses des sagas islandaises. ↩︎