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Le récit de Chester Kamen, musicien
Récits d’apprentissage est une série imaginée comme un espace de partage pour des récits de personnes ayant des parcours d’apprentissage atypiques – parce qu’il n’y pas qu’une façon de réussir !
Voici la deuxième partie du Récit d’apprentissage de Chester Kamen, guitariste de rock, qui réfléchit sur l’apprentissage de son métier. La générosité et l’ouverture de son témoignage m’impose une présentation en deux parties afin de donner suffisamment de place à son propos.
Précédemment, il nous a fait découvrir ses souvenirs d’apprentissage en partant de ses jeunes années pour arriver au moment où il a réellement commencé à gagner sa vie dans le monde de la musique. Dans cette deuxième partie, il va nous évoquer le déclic de la reconnaissance professionnelle qui lui à permis d’accéder à la grande scène internationale.
Rappel de l’essentiel de la première partie
Chester Kamen a grandi à Harlow, Essex en Angleterre. Enfant, la musique n’était qu’un élément parmi d’autres activités créatives qui l’attiraient mais, avec l’arrivée de l’adolescence vers la fin des années 60, la musique a commencé à prendre de plus en plus d’importance. Tranquillement, tout seul, Chester a réussi à apprendre la guitare, « apprenant de manière complètement aléatoire », en écoutant les autres – à la radio, sur disque – et en les regardant jouer. Avec l’élan des années 70, il avait beau quitter le lycée pour s’inscrire en cours d’art plastique à Harlow College, il a pu profiter pour voir tellement de concerts qu’il a compris que «c’était ça que je voulais faire : être musicien».
Inéluctablement, la musique a fini par prendre toute la place. Il s’est trouvé dans des groupes qui jouissaient d’une petite réputation locale, mais son but ultime était de jouer à Londres. Trouver des dates pour son groupe était tout sauf évident. Heureusement pour lui, Chester avait une autre carte à jouer.
Il avait développé une passion pour les aspects techniques de la musique, démontant et remontant sa guitare de manière quasi-obsessionnelle, fouillant dans tous les accessoires, faisant des enregistrements à la maison. Il s’est servi de tout ce savoir accumulé le jour où il a décroché un emploi à force de baratiner le personnel d’un studio d’enregistrement à Ilford, en banlieue de Londres. Initialement chargé de l’installation du matériel des groupes et du fonctionnement des magnétophones, il s’en est si bien sorti qu’il a trouvé un autre poste dans un studio plus important avec plus de responsabilités.
Prendre plaisir à travailler en studio d’enregistrement
A la fin de la première partie de notre conversation, nous avons quitté Chester à l’aune des années 80, âgé d’une vingtaine d’années, gagnant sa vie comme ingénieur son et faisant fonction de producteur chez Stage One Studio à Forest Gate dans l’est londonien. Il faisait désormais partie de l’industrie de musique avec un salaire pour le prouver. C’était le début d’un nouveau parcours d’apprentissage.
Il vivait essentiellement au studio pendant ce temps-là, faisant de longues heures au console, avec un plaisir non dissimulé. Sur quel type d’enregistrement travaillait-il ?
CK – Des groupes d’inspiration Beatles, du disco, de la musique indienne. Je rencontrais toutes sortes de personnes avec qui je devais m’entendre pour en tirer le meilleur – il fallait cerner leurs personnalités pour les aider à faire un maximum de choses en temps limité.
Grâce à sa capacité à trouver l’équilibre entre les contraintes techniques, d’un côté, et les besoins artistiques des musiciens, de l’autre, Chester semble s’être vraiment épanoui.
CK – Apprendre tout ça m’a vraiment aider à progresser dans le monde de la musique. J’étais capable de fonctionner avec les autres de manière créative tout en leur apportant quelque chose qui pouvait manquer. Au besoin, je pouvais prendre ma guitare pour ajouter une touche par ci ou par là, tout comme je pouvais avoir une idée pour le son de n’importe lequel instrument. Je tentais des choses. Peut-être que les gens aimaient bien travailler avec moi parce qu’ils avaient l’impression que je les comprenais – eux, en tant que personnes – mais que je pouvais aussi m’occuper de toute la partie technique. Tandis que certains ingénieurs son ne sont que ça, des ingénieurs son.
Pouvoir décrocher un succès musical populaire à l’époque passait forcément par le support disque, quel que soit le style de musique. En apprenant l’art d’enregistrer, Chester se disait qu’il était là où il fallait être.
CK – En ces temps-là, la musique devait se poser sur un morceau de plastique. Le but était de l’enregistrer et de la mettre sur plastique pour pouvoir transmettre cet objet à un DJ ou une station radio pour diffusion.
Retour à la musique et les auditions sans fin
Quand on cherche à aider les autres à enregistrer leur musique, on met nécessairement sa propre musique sur pause. Est-ce que Chester se voyait faire producteur toute sa vie ? Non, évidemment. Le musicien en lui a fini par ressortir.
Il s’est mis à parcourir les annonces dans l’hebdomadaire Melody Maker tous les jeudis pour caler son planning d’auditions pour la semaine suivante. Il a beaucoup voyagé, visitant les coins de l’Angleterre jusque-là inconnus, loin de la maison, pour prendre sa place dans la file des candidats qui espéraient tous être choisis pour intégrer les groupes en question.
CK – Tu avais un créneau, disons, à 2 heures de l’après-midi. Quelqu’un sortait de la salle, et toi, tu prenais la suite. Et lors d’une audition, tu devais montrer ce que tu savais faire, mais tu devais aussi faire impression en tant que personne. C’était devenu une mode de vie. En suite, si tu intégrais un groupe, tu pouvais te poser un peu. Même si tous ces groupes était basés ailleurs, loin de Harlow, le fait d’être accepté dans un groupe, à Wembley ou je ne sais où, était déjà une réussite. On t’avait choisi. Mais, bien sûr, ce groupe de musiciens n’était qu’au début d’un parcours du combattant interminable pour percer et espérer avoir du succès.
Il insiste sur le fait qu’un musicien doit également apprendre à vivre et travailler ensemble avec les autres en tant que membre d’un groupe. Cette vie commune est une découverte permanente et il faut être capable de prouver sa valeur constamment.
CK – Être dans un groupe, ça s’apprend. Même si on n’y pense pas consciemment, ça fait partie du travail. Avec les copains d’une même ville, on est déjà une sorte de famille, tous venant du même endroit. Quand tu te trouves dans un groupe dans une autre ville, tous les membres viennent d’ailleurs, donc tu transportes ton propre petit monde avec toi. Je me rendais compte que les gens qui habitaient à Londres me voyaient comme un petit mec de Harlow qui avait l’audace d’être là avec eux.
S’approprier les ficelles du métier
En tant que technicien en studio il avait un salaire. Comment faisait-il pour vivre en tant que membre d’un groupe qui attendait le succès ?
CK – A Londres, les musiciens avaient un fixe pour se défrayer de £15 par semaine, juste pour signifier qu’ils étaient bien dans un groupe. Il y avait des investisseurs qui soutenaient le groupe, et ils faisaient l’addition de tous ces frais en attendant la signature d’un contrat avec une maison de disques. A ce moment-là, la maison de disques versait l’avance sur ventes aux investisseurs qui se faisaient rembourser au passage de tout ce qu’ils avaient avancé en frais. Ils avaient souvent un côté voyous. Il venaient aux répétitions une ou deux fois par semaine pour nous donner des conseils – comment s’habiller, comment sourire. Et je ne te parle pas de boys bands, mais bien de groupes de rock sur le point de percer. Et il fallait bien s’entendre avec nos voyous d’investisseurs aussi !
Chester faisait également partie de groupes dont la mission étaient de jouer des reprises de tubes dans des soirées en discothèque partout au Royaume-Uni.
CK – Ces soirées-là alternaient entre des sets d’un DJ qui passait des disques, et les passages d’un groupe qui jouait des reprises des tubes du moment. Tout ça faisait partie des rites de passage pour rester musicien professionnel, parce que c’était le moyen d’avoir un salaire fixe. C’était aussi le moyen d’apprendre à jouer un répertoire de morceaux qu’on n’aurait pas forcément choisi autrement.
Les doutes de l’autodidacte
Être capable d’apprendre un nouveau répertoire en vitesse constituait une compétence indispensable pour la suite de la carrière de Chester, même s’il avoue que, pour y arriver complètement, il a dû consenti des efforts très importants.
CK – Je n’avais jamais l’impression d’avoir étudié la musique de manière légitime, n’ayant pas eu de formation conventionnelle. J’avais toujours l’impression de naviguer à vue dans toutes ces situations, m’en sortant comme je pouvais, et sans comprendre tout à fait ce que j’étais en train de faire.
Il pointe ici une qualité que chaque apprenant qui se veut autonome doit développer : la tolérance de l’ambiguïté; autrement dit, la capacité à garder le cap face à l’incertitude. Lorsque l’on se sent dépassé, notamment lors de nos apprentissages ou lors de la résolution de problèmes, engager cette capacité permet de ne pas abandonner, parce qu’elle nous aide à accepter le fait de ne pas avoir besoin de tout comprendre face à la nouveauté ou à l’inconnu. Sans pouvoir compter sur cette tolérance à l’ambiguïté en tant que membre d’un groupe, on risque non seulement de ralentir le travail de l’ensemble, mais également de perdre sa place.
CK – Je n’étais pas comme certains musiciens, surtout les pianistes, qui savaient lire la musique, structurer la musique, nommer les accords obscurs et qui géraient bien tout ce langage technique. Donc il m’arrivait de me sentir un peu perdu en leur compagnie.
Avoir réussi à s’en sortir dans de tels moments de difficulté montre que, malgré le sentiment d’être perdu, Chester avait gardé une idée fixe qui le protégeait : réussir était difficile, certes, mais il se trouvait là où il avait toujours voulu être, donc c’était la seule option. On se souvient de sa remarque dans la première partie de ce récit, au sujet de sa découverte de la scène lors de l’adolescence par le théâtre où il s’est rendu compte qu’il se sentait complètement chez lui sous les feux de la rampe, alors que d’autres personnes autour de lui « tremblaient de peur ».1
S’il ne tremblait pas dans ses bottes plus tard dans la compagnie de musiciens qui avaient appris la musique de manière formelle, il avoue qu’il prenait conscience de ses propres limites.
CK – Je manquais de confiance en moi dans ces situations-là. En général n’importe lequel joueur d’instrument à cuivre, par exemple, a appris la musique de manière légitime. Quand on leur donne une partition, il la joue de suite. Tandis que moi, je n’avais pas toutes ces connaissances, donc je ne pouvais pais le faire.
En effet, il a attendu tard dans sa carrière pour apprendre à lire la musique. C’est venu avec son intérêt pour le jazz lorsqu’il s’est rendu compte que sa vieille méthode, qui consistait à apprendre à déchiffrer à l’oreille, ne marchait plus.
CK – Si je voulais apprendre quelque chose joué par Charlie Parker, mon oreille n’y arrivait pas. J’étais incapable de le déchiffrer. Mais en posant la partition devant moi, et en passant le morceau au ralenti, j’arrivais à trouver les notes à jouer, puis je pouvais tout mémoriser.2
La capacité à lire la musique n’était pas exigée dans le milieu du rock. Être capable de le faire était même mal vu. Mais un autodidacte est toujours capable de faire des choses qui sont hors de la portée de ceux qui sortent d’un cursus plus académique. Dans le cas de Chester, il était capable de créer de la musique comme un peintre devant sa toile.
CK – J’abordais le tableau musical comme un ensemble de couleurs plutôt que des notes sur une page. Je ne pensais jamais : « Ce sont ces notes-là qu’il faut jouer pour remplir le cadre. » Je pensais toujours : « J’ai besoin d’une grosse tache par ci. J’ai besoin d’un son grinçant et rocailleux par là. » C’était ma façon de peindre une image intéressante. C’était la base même de tout mon travail de musicien de studio. Je faisais de la peinture sonore.
Enfin repéré par des oreilles averties
Son travail de musicien de studio découlait naturellement de son travail dans divers groupes jouant divers styles, même si Chester garde le souvenir de l’échec tout près du but de chacun des groupes auxquels il a participé pendant longtemps. Il a fallu beaucoup de tentatives ratées avant de percer.
CK – C’était sans fin. Et presque tous les groupes où j’ai joué aurait pu y arriver. Tous avait quelque chose qui valait le coup de développer, et les gens dans la profession étaient d’accord et y investissaient leur argent. Mais tous ont fini par échouer. A chaque fois à la poursuite du succès qui semblait nous résister.
Il fallait faire preuve de résilience, car Chester n’avait pas de protecteur attitré, « jamais de manager, jamais de stratégie ». Son seul plan était de continuer à jouer, se disant que « peut-être des oreilles averties allaient finir par me repérer. »
Cette capacité à tenir son cap personnel a fini par l’amener à la rencontre avec Bryan Ferry, qui a remarqué Chester au moment où Ferry lui-même était sur le point de s’engager pleinement en tant qu’artiste solo suite à la séparation de Roxy Music, le groupe qui l’avait révélé. Au moment de sa rencontre avec Chester, Roxy Music venait d’achever une longue tournée pour promouvoir Avalon – “probablement leur plus grand succès en termes de ventes” précise Chester – avant de prendre la décision de se séparer et mettre fin a plus de 10 ans ensemble.
Ferry cherchait à sortir de sa zone de confort et était en train d’expérimenter différentes configurations musicales quand le jeu de ce jeune guitariste l’a poussé à passer le coup de téléphone magique. Ce fut le début d’une longue collaboration dit Chester : “J’ai fini par travailler avec lui pratiquement à plein temps pendant 11 ans.” Plusieurs mois plus tard, en juin 1985, Boys and Girls était le premier album de Ferry à sortir avec un Kamen inscrit sur la pochette.
Slave To Love reste la chanson la plus célèbre de cette époque, et le clip vidéo de la performance au concert Live Aid en août 1985 montre Chester rayonnant de bonheur en train de jouer sur scène. Et on peut le comprendre. Il est facile à trouver. Cherchez le guitariste en T-shirt noir et pantalon blanc aux côtés d’un autre guitariste en chemise bleue qui est un certain David Gilmour du groupe Pink Floyd.
Les peintures sonores de Chester étaient taillées sur mesure pour l’élégance de Bryan Ferry qui, en tant que plasticien lui-même, concevait la musique comme un genre d’art.
CK – Bryan n’était pas seulement un artiste de formation, il l’avait également un parcours d’enseignant. Il m’a encouragé à jouer autrement. Je tentais de le faire déjà, c’est pour ça qu’il m’avait invité. Mais son message était de penser la guitare comme une machine à fabriquer des bruits et des sons.
Chester allait travailler sur deux autres albums avec Bryan Ferry : Bête Noire (1987) et Mamouna (1994). Sur Bête Noire, en plus de son travail habituel de musicien, il est aussi co-auteur de Seven Deadly Sins et co-producteur pour quatre titres, y compris les tubes de Kiss and Tell et The Right Stuff.
Invité à jouer par tout le monde
Si sa collaboration la plus longue est bien celle avec Bryan Ferry, le coup de projecteur apporté par cette association a incité beaucoup d’artistes très connus à inviter Chester à les accompagner. Un article sur sa carrière publié en 2021 dans Guitar Player magazine commence par l’affirmation “Chester Kamen has played with everybody.“3 La vérité se situe probablement entre cette légère exagération et la liste déjà longue donnée par son profil sur allmusic.com – et qui est certainement incomplète!
Parmi ces coups ses plus célèbres en tant que musicien de studio, il y a sa participation sur Like a Prayer de Madonna en1989. La page Wikipedia qui raconte l’enregistrement de cette chanson précise que Chester était invité à jouer pour apporter un peu “de la dégaine et de la singularité” du rock britannique.
Pour ma part, c’est l’énergie particulière qu’il amène sur scène qui m’impressionne, et qui lui a permis sûrement de se faire un nom et une réputation de projet en projet. Prenons trois exemples.
D’abord, il y a son solo de guitare lyrique en direct à la télévision à la fin de Target Practice par le chanteur britannique Belouis Some du milieu des années 80. C’est à ce moment-là, à 27 ans, et au bout de 9 ans en tant que musicien professionnel, que Chester va percer.
Ensuite, plus de 10 ans plus tard, regardez sa prestation de 1997 sur Torn aux côtés de Nathalie Imbruglia, encore une fois en direct à la télévision, pour cerner sa capacité à jouer une ligne de guitare ultra connue sur un tube de l’époque de façon à rendre la version originale pâle et polie en comparaison.4
Enfin, voici une performance plus récente, datant de 2016, quand Chester a joué comme l’associé de David Gilmour sur les dates européennes de sa tournée mondiale Rattle That Lock. Sur cet extrait du DVD Live at Pompeii, voici une conversation Gilmour-Kamen par guitares interposées sur Money.
Devenir soi-même
Que faire une fois la reconnaissance professionnelle acquise, tout comme la satisfaction d’avoir pu y arriver en suivant un parcours d’apprentissage choisi et non pas subi ? Ces dernières années, Chester a commencé à dériver vers le jazz. D’un coup, le guitariste qui semblait avoir joué avec tout le monde s’est vu dans l’obligation de réapprendre à jouer son propre instrument pour pouvoir jouer avec les autres.
En tant que musicien de rock, il pensait pouvoir aborder le jazz, non pas par le jazz, mais par le jazz rock.
CK – Je jouais du jazz rock, et j’étais attiré par le jazz, mais j’ignorais tout du jazz. Je voulais jouer du jazz rock sans connaître le jazz ! Donc, quand il a fallu que j’essaie de participer aux jam sessions dans des clubs avec un ou deux morceaux que je connaissais, je me suis retrouvé comme le jeune musicien qui cherchait à franchir les limites de sa ville de Harlow, face à des gens qui jouaient tous mieux que moi. 3
Chester savait que, pour apprendre quelque chose de nouveau, quelles que soient ses capacités dans d’autres domaines, qu’il fallait accepter de passer par la case départ. S’il voulait jouer du jazz, il lui fallait tout recommencer à zéro.
CK – Il a fallu que j’apprenne le répertoire et l’histoire du jazz. Ce qui m’a fait redécouvrir mon instrument sans être branché sur le dispositif d’un studio. Et c’est là où je me trouve aujourd’hui, en train de jouer mon instrument sans être connecté à la grande machine. Et ma guitare a pris une forme nouvelle – une forme que je n’avais pas forcément prévue. En plus, je joue sur une Gibson SG, la première guitare que j’ai acheté. C’était une copie payée £35 à l’époque, mais maintenant, j’en ai une vraie! La boucle est bouclée.
Je reprends cette dernière remarque, en lui disant que, même s’il doit recommencer à zéro pour apprendre le jazz, il n’est plus le même musicien qu’il était au départ quand il rêvait de jouer avec des musiciens qui le dépassaient. Il me corrige tout de suite.
CK – Je ne suis plus la même personne! Maintenant, je suis engagé sur une mission personnelle pour devenir moi-même. C’est à dire, un musicien de rock dans un contexte de jazz. Curieusement, en règle générale, le monde du rock n roll ne veut pas entendre parler du monde du jazz, et le monde du jazz ne veut pas entendre parler du rock n roll. Mais ça me va bien. J’ai toujours l’impression d’apprendre, même aussi tard dans ma vie.
Il aimerait jouer jusqu’à quand ?
CK – Pour l’amour du ciel, je ne voudrais pas être considéré comme retraité à 68 ans ! J’avais toujours imaginais que j’allais me retirer dans une pièce obscure à 60 ans, parce que je pensais qu’on était vieux à 60 ans. Pendant nos jeunes années, pour notre génération, 60 ans faisait vieux. Ceci dit, je ne pense pas faire centenaire. Mes doigts n’y arriveront pas. Pour l’instant, mes doigts me permettent de continuer à jouer. Donc je vais continuer aussi longtemps que possible.
Tandis que nous sommes sur la fin de notre échange, Chester rajoute quelque chose. Le musicien qui rêvait d’une carrière sur la grande scène voit désormais les avantages à réduire le niveau du volume de sa musique, puisqu’il joue dans un trio de jazz où chaque musicien doit pouvoir entendre ce que joue ses collègues. Il tape du doigt sur le boîtier d’un petit ampli de guitare dans son salon : “Voici mon nouveau niveau de son. Je suis passé d’un gros ampli de guitare à ce petit bonhomme ici. A l’origine, il était conçu par le fabriquant pour permettre aux musiciens de jouer à la maison. Mais c’est largement suffisant pour jouer avec son voisin.” Il indique le piano, à portée de main. Il joue deux accords au clavier, et les laisse résonner, l’oreille tendue à l’écoute. Il y a une lueur dans son regard et il hoche la tête. Il y entend un truc. Il n’est pas encore prêt à lâcher la musique.
Pour aller plus loin
Vous pouvez suivre Chester Kamen sur YouTube avec une sélection éclectique de ses chansons en solo, ainsi que des vidéos de son travail en jazz rock. Il fait également partie de Chester Kamen and The Loves, un groupe qui joue un pop rock de facture plus classique, comme dans la chanson Americanized. Le groupe travaille actuellement sur un nouvel album, mais toute leur discographie est disponible à l’écoute et à l’achat sur la plateforme Bandcamp.
- La citation se trouve dans le premier volet à la fin de la section intitulée L’amour de la performance : “Apprendre un texte n’est pas comme apprendre une compétence. Tu ne fais que mémoriser quelque chose pour ensuite l’incarner. Cela me semblait naturel. Ce n’était jamais une source d’inquiétude. Au moment d’entrer sur scène, je ne tremblais jamais de peur comme d’autres autour de moi. Je me suis toujours senti bien sur scène. En fait, plus tard dans ma vie, quand je jouais de la musique sur scène, il m’est arrivé de me retourner face au public et d’avoir l’étrange impression que j’étais chez moi dans mon salon. C’était, en effet, l’endroit où je me suis senti chez moi. C’était comme une sensation physique qui me disait que j’étais chez moi.” ↩︎
- Au moment où je fais cette traduction et que j’écris ceci, je me rends compte que quelqu’un qui ne lis pas la musique doit tout mémoriser. Nous sommes passés à côté d’une discussion sur la mémorisation. J’aurais pu lui dire que bien des musiciens classiques souffrent de ne pas pouvoir sortir leur nez d’une partition quand ils jouent en publique! ↩︎
- Chester Kamen a joué avec tout le monde. ↩︎
- C’est le guitariste David Munday qui joue sur la version originale ↩︎
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