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Récit de Chester Kamen, musicien

Le chemin le plus court vers la réalisation de soi est rarement une ligne droite. Apprendre à y arriver peut occuper toute une vie, comme le confirme ce nouveau Récit d’apprentissage qui se déroule dans l’univers de la musique. Il y sera question du pop, du rock et, pour finir, d’un peu de jazz.

Chester Kamen s’accorde – Photo Steve Monti

Nous allons évoquer la fabrication de la musique, mais surtout la fabrication d’un musicien, car notre guide sera Chester Kamen, musicien professionnel, qui nous parlera de son parcours d’apprentissage atypique.

Son choix de faire sa vie en tant que guitariste de rock n’était pas simple. Il a appris la musique tout seul, loin de toute formation au conservatoire ou à l’université, et dans un monde bien avant l’arrivée des tutoriels en ligne. Une carrière solide l’a vu travailler avec des artistes mondialement connus tels que Bryan Ferry, David Gilmour ou Madonna.

Mais comment est-ce que cet autodidacte y est arrivé? Je savais bien que cet adepte de l’apprentissage par essai et erreur, allait avoir beaucoup de choses à nous apprendre parce que j’ai rencontré Chester pour la première fois à l’école primaire à l’âge de 7 ans, puis nous avons fait nos années dans le secondaire ensemble. Dans la poursuite de la série Récits d’apprentissage, je l’ai invité à prendre le temps de nous montrer le chemin par lequel il a roulé vers le rock.

Compte tenu de la générosité de son témoignage, il m’a semblé plus judicieux de le présenter en 2 parties : d’abord, nous verrons comment il a réussi à entrer dans le monde de la musique; puis, nous découvrons les étapes qui ouvert l’accès à la grande scène.

S’améliorer, toujours s’améliorer

C’est par une journée grise dont l’hiver anglais a le secret que nous nous asseyons chez Chester pour parler de l’apprentissage. Dès l’entrée dans la discussion, il est évident que c’est quelqu’un qui aime apprendre et qui aime en parler.

CK – Absolument. Apprendre, c’est réussir quelque chose. C’est avoir un but lointain et devoir apprendre quelque chose pour l’atteindre. Ça vient sûrement du fait d’avoir regardé quelqu’un, peut être quelqu’un qu’on admire, et d’avoir pensé que si j’arrive à faire la même chose, je serai meilleur que je ne le suis à ce moment-là.

Se rattraper en famille
Photo de Miguel Alcântara sur Unsplash

Au début de sa scolarité, quelle sorte d’élève était-il?

CK – Compétitif, sans aucun doute. Parmi les meilleurs, quelle que soit la classe. Peut être parce que je venais d’une grande famille, je ne sais pas. En tant qu’enfant unique, peut être que j’aurais été exactement le même. Je me souviens d’avoir commencé l’école après les autres. La rentrée était en septembre et je me suis pointé en janvier, donc la classe était déjà constituée. J’étais en retard par rapport à tous les autres parce qu’ils savaient tous déjà ce qu’on attendait d’eux. Donc, il fallait que je les rattrape dès le début. Il fallait que je remonte dès le premier jour.

Chester a grandi à Harlow, Essex, une ville nouvelle chargée de rêves et d’espoirs lorsque la famille Kamen y a déménagé de Hackney et la famille Kenny d’Ilford au début des années 1960. Né le cinquième enfant dans une famille de huit1, il dit avoir toujours gardé l’œil sur son grand frère, Ronald, qui lui donnait un modèle à suivre.

CK – Ron avait 18 mois de plus que moi, donc il apprenait toute sorte de choses avant moi. J’apprenais ce qu’il avait appris, pour ensuite faire mieux. Peu importe le domaine, il fallait que je le rattrape et que je le dépasse!

Parmi les choses apprises par Ron qui attirait son regard, il y avait le dessin.

CK – Notre papa dessinait très bien. Je dirais qu’il avait un style naturaliste. Ce n’était pas un créatif, mais il savait reproduire en dessin tout ce qu’il voulait de manière très fidèle. Donc, il nous encourageait à suivre son exemple : d’abord mon frère, puis moi.

Chester Kamen par Ron Kamen 2023
Source Facebook

Papa ne donnait pas des cours de dessin. il s’agissait plutôt de le regarder faire, puis d’en faire autant.

CK – On le voyait reproduire en dessin, disons, quelqu’un sur une photo, parce qu’il faisait des portraits. Il arrivait à reproduire l’image d’une photo et on lui disait : “C’est super! Comment t’as pu faire quelque chose d’aussi ressemblant?” Donc le sérieux du travail d’apprentissage m’a été inculqué dès le plus jeune age. Et je crois que cela vient du dessin.

A 11 ans, le jeu d’apprentissage a changé de terrain avec la fin de l’école primaire où le seul critère pour la constitution des classes était l’age des élèves. Dans le secondaire, les élèves du même age étaient distribués dans des classes de niveau identifiés par des lettres de A à E.

CK – Dans chaque classe, tu étais censé te trouver avec tes pairs, et j’adorais viser le meilleur niveau dans chaque matière. Je n’aimais pas me trouver dans le groupe B. D’ailleurs, je crois bien avoir été en A pour tout. Mais ça comptait pour moi. Puis, parmi les élèves du très bon groupe, c’était important d’être l’un des meilleurs.

Comment savoir qu’il faisait partie des meilleurs dans cette très bonne classe? Il n’y a avait pas de classement hebdomadaire pour nommer le gagnant, mais Chester arrivait à la faire en surveillant ses notes.

CK – A l’école primaire, il y avait un système d’étoiles à trois niveaux : étoile de couleur, étoile d’argent, étoilé dorée. Je voulais toujours l’étoile dorée, et j’étais déçu si je n’avais que l’étoile d’argent. Dans le secondaire, quelque chose comme un B+ était la note la plus basse recevable pour moi. C’était ma façon de situer mon classement par rapport aux autres.

L’amour de la performance

L’art de la performance a toujours était central pour Chester. Son premier souvenir d’une performance en tant que musicien date de 1964-65, vers l’age de 8 ou 9 ans à l’école primaire.

CK – On s’était mis à quatre pour jouer en playback deux chansons des Beatles. I Want To Hold Your Hand et une autre. On ne jouait pas vraiment, on faisait semblant. Il y avait moi, Kevin Macaire, Kevin Regan et peut-être Michael Jordan. C’est mon premier souvenir d’avoir été dans un groupe. J’étais là, debout, devant un public, faisant semblant de jouer deux chansons. Je me demande bien qu’elle maitresse nous avait encouragés à faire ça!

Quand il s’agissait de jouer un instrument pour de vrai, c’était encore une fois Papa et Ron qui en furent les initiateurs.

CK – J’étais plutôt jeune quand j’ai tenu un instrument entre mes mains pour la première fois. Je ne saurais dire l’age, mais mon père avait un ukulélé qu’il grattait de temps à autre. Donc nous le faisions aussi. Puis, comme d’habitude, c’était mon grand frère qui est rentré de l’école ayant appris à jouer un morceau à la guitare – je n’avais pas d’instrument à moi à l’époque – et je le regardais en me disant : “Ça, je dois apprendre à le faire.”

Jeune guitariste au croisement des chemins
Photo de Laith Abuabdu sur Unsplash

A partir de l’age de 13 ou 14 ans, Chester s’est mis à amener une guitare avec ses affaires de cours presque tous les jours pour pouvoir en jouer à la pause de midi. Il cherchait parmi les morceaux qu’il connaissait pour répondre à nos demandes. Même si, à l’époque, il ne rêvait ni s’imaginait dans une carrière de musicien professionnel. Loin de là.

CK – Je ne pensais pas, à ce moment-là, qu’il y avait un avenir quelconque dans la musique. Je pensais encore que j’allais devenir acteur. Parce que, si un conseiller d’orientation m’avait posé la question – peut être que quelqu’un l’a fait – pour savoir ce que je voulais faire de ma vie, j’aurais très certainement répondu que je voulais être acteur.

Depuis l’arrivée d’un professeur d’anglais Mrs Fullerton parmi nos enseignants, nous montions une pièce de Shakespeare chaque année. Chester y avait pris une part active avec un succès remarqué dans le rôle de Puck dans une production du Songe d’une Nuit d’Eté.

CK – Je ne le vivais pas comme un grand rôle, mais ça l’était. Même si je me sentais toujours comme faisant partie des personnages secondaires. Mais, oui, à ce moment-là, je voulais être acteur.

Comment faisait-il pour apprendre son texte?

CK – Apprendre un texte n’est pas comme apprendre une compétence. Tu ne fais que mémoriser quelque chose pour ensuite l’incarner. Cela me semblait naturel. Ce n’était jamais une source d’inquiétude. Au moment d’entrer sur scène, je ne tremblais jamais de peur comme d’autres autour de moi. Je me suis toujours senti bien sur scène. En fait, plus tard dans ma vie, quand je jouais de la musique sur scène, il m’est arrivé de me retourner face au public et d’avoir l’étrange impression que j’étais chez moi dans mon salon. C’était, en effet, l’endroit où je me suis senti chez moi. C’était comme une sensation physique qui me disait que j’étais chez moi.

Apprendre à faire des choix difficiles

Un auditorium ou le salon de chez Chester?
Photo de Paolo Chiabrando sur Unsplash

A l’age de 15 ans, alors qu’il été pressenti pour jouer dans une production de La Tempete, Chester devait faire face à un conflit d’intérêts. Les répétitions pour le théâtre avaient commencé à grignoter trop sur le temps des entraînements de football dans son club où il prenait plaisir dans une performance sportive qu’il avait aimée depuis toujours. Ainsi, bien que passionné par le théâtre, ses coéquipiers et son coach faisaient comprendre qu’il fallait choisir entre jouer au stade et jouer sur scène.

En fin de compte, Chester renonce à la scène pour pouvoir continuer à jouer au stade. Du moins, c’était la raison officielle pour son refus d’endosser le rôle d’Ariel, l’esprit aérien de La Tempête au service de Prospero qu’il obéit en attendant d’obtenir sa liberté. Cependant, il explique, il y avait une autre raison derrière son refus.

CK – J’étais obligé de dire non parce que j’avais déjà joué le rôle de Puck, un lutin malicieux, dans la production du Songe d’une Nuit d’Été. Pour jouer ce personnage on m’avait maquillé de vert et je portais des collants tous les soirs, pour être tourné en ridicule par tous les élèves dans mon année – tous les garçons, en tout cas! Le ridicule ne tue pas, bien sûr. Mais La Tempête est arrivée. On m’a demandé de jouer Ariel, encore un personnage féerique, et j’ai dit : “Cette fois-ci, c’est non.”

Tout personne qui passe sur scène doit apprendre à dire non parfois. A la même époque que l’incident autour de La Tempête, Chester s’est mis à dire non à son destin académique tout tracé de bon élève avec la découverte d’une vocation d’artiste plasticien. Comment lui est venue cette idée?

CK – C’était seulement parce que j’étais doué et que tous mes professeurs me disaient : “Tu devrais suivre cette voie parce que tu en as toutes les capacités.

L’avance qu’il avait en tant qu’artiste dès le plus jeune age, grâce à l’apprentissage précoce du dessin, faisait de lui un artiste capable de peindre et de dessiner tout ce qu’il voulait de manière naturelle. A l’age de 16 ans, il avait l’offre d’une place pour étudier l’art plastique à Harlow College dès qu’il le souhaitait. Avec tout son potentiel dans les matières scolaires plus classiques – particulièrement en tant que littéraire – il allait devoir rompre avec le monde et les personnes qu’il connaissait.

Ce n’était pas tout. Il voulait étudier l’art, mais le lycée avait une forte prise créative sur lui. Il faisait partie d’un petit groupe d’élèves qui organisaient et animaient les soirées discothèques dans les locaux du lycée tous les vendredis soirs. Partir du lycée voulait dire perdre cette activité.

CK – En tant que membre du groupe qui animait les soirées disco, il y a avait tout une scène sociale liée au lycée que j’allais devoir abandonner. Ça ne me plaisait pas, tout comme l’idée d’aller vers l’inconnu. Je ressentais une pression intérieure qui me disait de rester, simplement pour continuer à participer à cette scène sociale. C’était une activité très créative et la musique en faisait partie. Je pouvais passer des disques pour essayer de convaincre mes camarades de la valeur de la musique que j’aimais en leur disant : “Ecoutez ça!”

De nos jours, Chester et ses parents auraient eu des conseils ou de l’aide à la prise de décision pour bien peser le pour et le contre au sujet de son orientation. A l’époque, on lui a dit simplement que, puisqu’il n’était pas décidé à rester qu’il pouvait quitter l’établissement. “On m’a mis dehors” est la formule utilisée par Chester pour résumer la situation du point de vue de l’élève. Mais le problème n’était pas réglé pour autant, parce que, une fois en cours d’art plastique, il a changé d’avis de nouveau. Au bout d’un an, il a décidé de changer de voie pour se mettre sérieusement à la musique. Tout de toute évidence, il s’est passé quelque chose dans sa vie.

Concert with disco & light show
at Harlow College
Source – Electric Salad

CK – Cette année-là, l’amicale des étudiants s’est mise à programmer des groupes à Harlow College de façon régulière. La municipalité de la ville a également organisé des concerts gratuits tous les samedis d’été au Town Park. Et l’idée a fait son chemin. C’était ça que je voulais faire : être musicien.

Donc il a trouvé une manière de se servir de son statut d’étudiant en art plastique pour pouvoir envisager de devenir musicien professionnel.

CK – J’ai changé d’orientation, laissant tomber art plastique pour le graphisme. De cette façon, je pouvais rester au College, continuer à toucher la bourse d’étudiant, sans être obligé de m’engager entièrement dans mes études. C’était un choix purement utilitaire. Je savais que, si j’apprenais le métier de graphiste, je pouvais toujours gagner de quoi vivre tout en travaillant comme musicien, alors qu’être artiste plasticien aurait exigé une implication totale de ma part.

Apprendre tout seul  avec méthode et folie

Faire de la musique et ne penser qu’à la musique sont devenues ses activités essentielles. Comme il l’explique, “je me réveillais le matin en pensant à la musique et je me couchait le soir en pensant à la musique.” Apprendre la musique tout seul – car c’était ainsi – a poussé sa faculté de créativité jusqu’à la folie. Mais sa folie ne manquait pas de méthode.

CK – J’apprenais de façon totalement aléatoire. Sans formation traditionnelle et sans système. Si j’entendais quelque chose qui me plaisait, il fallait que je le déchiffre en l’écoutant sur disque. Relever l’aiguille du disque, repositionner l’aiguille pour repasser le disque, une centaine de fois. Et tout ça, en absence totale de tutos en ligne!

Les musiciens autodidactes de l’époque étaient de véritables enquêteurs. J’ai le souvenir d’avoir accompagné Sherlock Kamen2 à Londres un samedi à la recherche d’un pédale d’effet pour sa guitare pour jouer avec le son qu’il avait repéré sur un disque de Jeff Beck. Nous sommes allés de magasin en magasin. Il empoignait une guitare, allumait une série de pédales, l’un après l’autre, pour chercher l’effet. Puis, il disait : “Non, c’est pas ça.” Et nous passions au magasin suivant. J’avais l’impression d’être avec un enquêteur qui travaillait sur un cas difficile. Il rit quand je lui raconte l’anecdote.

CK – Bizarrement, j’ai effectivement acheté un pédale en 1972 pour £15, précisément pour retrouver un son que Jeff Beck, Jan Akkerman, et Marc Bolan arrivaient à obtenir. J’ai toujours le pédale en question, et je l’utilise encore. Aucun autre modèle fait mieux. Actuellement, c’est en réparation chez le technicien, mais c’est toujours là.

Est-ce que les tutos en ligne pour apprendre à jouer comme Jimi Hendrix d’aujourd’hui font de meilleurs musiciens? Comme tous les professionnels le savent, tôt ou tard, l’apprentissage d’un instrument au meilleur niveau les obligent à apprendre également à maitriser les aspects techniques de l’instrument choisi. Avec ou sans tuto, il faut être capable de se débrouiller seul par moment.

Aborder la technique tout seul – tout un art
Photo by Adi Goldstein on Unsplash

CK – Je n’apprenais pas seulement l’instrument, mais aussi comment le démonter pour regarder ses différents composants, leur fonctionnement, l’entretien de l’instrument, faire les petites réparations. Ce qui est intéressant, parce que je vois mes propres enfants ne pas faire tout ça. Ils ne semblent pas être conscients qu’un instrument perd en qualité si tu le laisses dans un coin, que les cordes vont se rouiller et puis sonner moins bien qu’avant. Tandis que moi, j’étais toujours en train de bidouiller mon instrument, de le démonter, le nettoyer, de changer les cordes, l’attaquant même avec un fer à souder. J’étais constamment en train de le trafiquer, de le réparer.

Forcément, poussé à l’essai et à l’erreur par la nécessité de d’apprendre seul tout ce qui était, de près ou de loin, en rapport avec la musique, il y avait quelques incidents.

CK – J’ai le souvenir intarissable du moment où j’ai tenté de me servir d’un fer à souder sur mon tourne-disque, le faisant exploser dans ma figure parce que j’ai soudé le mauvais terminal. Donc il ne s’agit pas d’un apprentissage lisse et gradué. Il y avait des hauts et des bas, des réussites et des ratés. Et beaucoup d’erreurs.

Mais rien ne l’arrêtait. Heureusement, il a trouver un bon filon quand il a acheté d’un magnétophone.

CK – C’était vers la fin de l’école primaire quand j’ai fait l’acquisition d’un magnétophone pour quelques livres, ce qui a démarré mon apprentissage de l’enregistrement et l’exploitation du résultat. De mon point de vue, enregistrer faisait partie de la pratique d’un instrument. Pour m’entendre jouer pour voir si je progressais, je pouvais m’enregistrer puis m’écouter pour découvrir à quel point j’étais mauvais – ou bon!

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C’est quoi un UV-mètre? C’est ça!
Source – Sound On Sound

L’enregistrement est une thématique de prédilection pour Chester, même aujourd’hui. Comme il a accepté de me laisser enregistrer notre conversation pour cet article, mon téléphone est entre nous sur la table. Il le désigne d’un signe de la tête, tout en parlant.

CK – De nos jours, il est possible de enregistrer avec un téléphone sans en comprendre le procédé technique. Tu appuies sur le bouton rouge, puis tu acceptes la qualité du résultat. Mais, avec mon magnétophone analogique, je te parle d’une époque où il fallait apprendre des notions en lien avec le support de la bande magnétique, le fonctionnement du VU-mètre, puis être capable d’assurer l’entretien de l’ensemble de l’appareil. Tout cet aspect des choses n’existe plus, bien sûr. A force d’accumuler des connaissances au sujet des enregistrements, à l’age de 11 ou 12 ans, j’étais capable de travailler en multi-pistes. Je prenais une machine, je posais une première piste, puis je la repassais devant le micro d’une autre machine, tout en jouant autre chose dessus. Je faisais du multi-pistes dans ma chambre en surmontant les contraintes techniques.

De cette façon, il pouvait articuler ensemble plusieurs besoins : apprendre à jouer, enregistrer une performance, complexifier et évaluer le résultat .

CK – Je n’avais pas besoin de m’acharner à bien jouer, puis de chercher quelqu’un d’autre pour m’enregistrer. Tout faisait partie d’une même palette.

Il a dit palette ? L’artiste plasticien est toujours là pour guider la main du musicien.

À la recherche de nouveaux défis

Vers l’age de 18 ans, Chester s’était octroyé un espace personnel dans le scène musical à Harlow, jouant parfois au College et parfois dans des pubs. Harlow était bien doté en termes de pubs, mais peu programmaient de la musique vivante, et la ville était trop nouvelle pour avoir des clubs pour des musiciens en herbe. Comme tout apprenti, un musicien qui s’est fait une place localement a besoin d’explorer les possibilités ailleurs. Pour Chester, cela voulait dire tenter sa chance à Bishop’s Stortford, la ville d’à côté à 16 kms où il y avait une scène musicale très active.3

Cream au Rhodes Centre 1967
Source – Pick Click

Il se souvient d’avoir fréquenté deux lieux en particulier. Le Rhodes Centre4 qui vivait sur la légende d’années de gloire entre 1963 et 1967 lors de concerts avec des têtes d’affiche tels que Gene Vincent, The Yardbirds, Pink Floyd, The Who, Cream et beaucoup d’autres.5 Avec l’avènement des années 70, les propriétaires ont changé de politique en se tournant vers le nouveau marché des jeunes touchés par la vague disco qui voulaient danser en boîte. Les concerts étaient maintenus, mais bien moins nombreux, même si l’ambiance était souvent réchauffé avec quelques bagarres. L’autre lieu pour la musique vivante était Triad, qui faisait la promotion des arts au sens large depuis longtemps et qui organisait des soirées jazz and blues au milieu des années 70. Quelques années plus tard, Triad allait devenir le rendez-vous des punks venus soutenir la nouvelle vague musicale.

CK – Voir tout ça me donner un but. Par le simple fait de monter en niveau en allant faire un tour dan la ville d’à côté. Londres semblait loin à l’époque, mais aller à Bishop’s Stortford me montrait mes limites, parce que il y avait un paquet de gens qui jouaient bien mieux que moi.

Les sorties à Bishop’s Stortford avaient beau être une source d’inspiration et de motivation, il habitait toujours la même maison à Harlow. Il fallait trouver le moyen de jouer à Londres.

CK – Une façon d’y arriver était d’essayer de décrocher une date pour mon groupe. Pour ça, il fallait aller dans une soirée dans un lieu qui programmait les groupes, puis tenter de parler au gérant pour le convaincre de nous prendre pour faire la première partie de l’une de leurs soirées. Une autre façon d’y arriver était d’aller toquer à la porte d’un studio d’enregistrement, comme celui à Ilford dont j’avais entendu parler. Je leur disais : “Bon, je sais faire pleins de trucs. S’il vous plaît, laissez moi venir travailler pour vous!”

Bienvenue en studio d’enregistrement

C’était la deuxième stratégie qui a fonctionné en premier, et Chester a réussi à se faire embaucher pour faire marcher les magnétophones et aider au bon déroulement des séances d’enregistrement. Ilford ne faisait pas tout à fait partie de Londres, mais il s’en approchait – et il était en train d’apprendre le travail d’ingénieur du son.

Vintage Studio Time
Photo by Steven Weeks on Unsplash

CK – Je travaillais enfin dans la musique et on me payait pour ça! C’était le début d’une nouvelle phase d’apprentissage. Je découvrais non seulement comment enregistrer, mais comment conduire une séance d’enregistrement et faire fonctionner un studio. A partir d’Ilford, j’ai progressé pour entrer chez Stage One Studio à Forest Gate où je suis passé à la production. Mais j’étais un producteur qui avait le don de rater l’éclosion de la nouvelle mode – la musique électronique! Je m’appliquais en studio à enregistrer des artistes de manière innovante. Du moins, c’est ce que je croyais. Et dans les pauses entre mes séances, il y avait d’autres individus qui arrivaient avec toute sorte d’engins électroniques qu’ils avaient bricolés. Des types qui ont fini par devenir très célèbres. Des groupes comme Soft Cell, un groupe qui est devenu énorme, et Depeche Mode, encore assez en vogue aujourd’hui. Et j’ai tout raté!

Avec le recul, on peut se demander comment il est possible pour un producteur de ne pas capter la nouvelle vague en musique. Mais c’est facile à faire quand vous cherchez autre chose. Souvenons-nous des experts de chez Decca Records qui ont refusé The Beatles en 1962 expliquant que la vague des groupes à guitares était en train de passer de mode.

CK – J’étais prisonnier de mon statut de musicien à ce moment-là. Je prenais tout ça d’un peu haut, parce que je méprisais ces groupes électroniques en disant : “Hé les mecs, vous nous jouez pas de la musique. Je vois bien ce que vous êtes en train de faire! Peut-être que ça sonne bien, mais ce n’est pas vraiment de la musique.” Donc je suis passé à côté de tout ça. Bien sûr, ils sont tous devenus énormes.

Et maintenant?

Comment Chester va-t-il s’en sortir dans ses années de studio? Et que fait-il de ses ambitions de devenir musicien professionnel? Justement, la deuxième partie du portrait va nous le dire.

Pour vous mettre dans l’ambiance, voici un teaser tiré de YouTube. Il s’agit du concert Live Aid de 1985 organisé par Bob Geldof avec une foule d’artistes. Il y a du monde sur l’image. Cliquez sur la vidéo et cherchez Chester Kamen en pantalon blanc et tee shirt noir avec un grand sourire aux côtés de Bryan Ferry lors de cet événement planétaire.

Pour lire la suite de l’article, il suffit de CLIQUER ICI.

  1. Chester n’est pas le seul membre de sa famille à avoir eu une carrière d’artiste connue du grand public. Vous connaissez peut-être le travail de ses jeunes frères, Nick and Barry ↩︎
  2. Il me semblé s’être transformer en un personnage de Conan Doyle. ↩︎
  3. Pour entrer pleinement dans l’ambiance de la scène musicale à Bishop’s Stortford dans les années 70, voici une page en anglais riche en détails. ↩︎
  4. Le Rhodes Centre fut crée à Bishop’s Stortford dans la maison natale de Cecil Rhodes, figure du passé colonial britannique en Afrique. Sous le pression née du mouvement Black Lives Matter, le lieu change de nom en 2020 pour devenir le South Mills Arts Centre. ↩︎
  5. Voici une page en anglais qui donne la longue liste de grands artistes ayant joué à Triad à la grande époque. ↩︎

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